L’impatience est le privilège des forts. Cela doit devenir l’inverse.

Les plus pauvres, par nature, sont contraints d’être patients, c’est a dire, au sens propre, de souffrir ; et au sens figuré, de ne pas attendre de résultats rapides de leurs efforts. Pour eux, aucun désir ne peut être satisfait dans l’immédiat. Accumuler de quoi satisfaire les besoins les plus élémentaires, comme se loger ou se nourrir, prend beaucoup de temps: il faut épargner pour cela, longtemps. Pour eux, la récompense n’est que, au mieux, dans très longtemps ou par une autre génération ou dans une autre vie.

A l’inverse, les puissants ont tous les droits. En particulier celui de ne pas attendre pour voir satisfaits leurs désirs. Ils exigent tout, tout de suite. Leur impatience pousse les financiers a vouloir une rentabilité immédiate; elle pousse les entreprises a se contenter de projets immédiats.

Et la publicité pousse les classes moyennes vers le même modèle : pourquoi vous priver? Pourquoi attendre?; cela pousse aussi les électeurs a vouloir une satisfaction immédiate, et les politiques a tenter de les satisfaire dans l’instant. Cela pousse les uns et les autres a l’endettement, mesure de l’impatience.

Ce modèle, qui renvoie a l’essentiel, c’est a dire au rapport au temps, est suicidaire. Et on pourrait expliquer toute la dynamique de nos démocraties de marché autour de cette idée. C’est cela qu’il faut inverser: l’impatience doit devenir le droit des pauvres. La patience doit être le devoir des riches.

Le concept de “capitalisme patient”, que j’ai proposé il y a trois ans, pour décrire la responsabilité sociale d’entreprise doit devenir plus général. Il doit s’appliquer autant que possible a l’action de recherches et d’investissement des dirigeants de l’économie. Cela est plus facile a mettre en oeuvre pour des entreprises non cotées, a l’abri des caprices des traders.

De même, le secteur du social business, est lui aussi fondé sur la patience de ceux qui y investissent. Il est appelé a un grand avenir.

Il doit aussi s’appliquer aux hommes d’état qui doivent attendre d’être récompensés par la trace qu’ils laisseront dans l’histoire plus que par le prochain sondage. Et les électeurs sont assez murs pour que la patience ne contredise pas la démocratie. la patience doit devenir la vertu des dirigeants. Et même un critère pour les choisir.

A l’inverse, les pauvres, eux, doivent être impatients. Impatients de recevoir les moyens, en particulier financiers et politiques de la dignité. Le monde est riche et injuste. Ils doivent le remettre en cause. Ils doivent refuser les gaspillages, la myopie, les caprices des riches.

De leur impatience, de leur colère même, dépend la survie du monde.