Ce qui est fascinant, dans la crise actuelle, c’est qu’on ne veut en voir en général que les manifestations  les plus superficielles, sans débattre ni de ses causes profondes, ni de la transition qu’elle annonce vers un nouvel équilibre géopolitique. Ainsi, les Etats-Unis sont en train de perdre leur suprématie sans qu’aucune puissance ne s’annonce pour  les remplacer au centre du monde. Et comme personne n’a intérêt au chaos, chacun aide les Etats-Unis à maintenir leur suprématie à crédit. Pour cela, tout le monde a laissé s’installer une globalisation des marchés, et en particulier du marché du crédit, sans exiger une globalisation de l’état de droit, laissant se développer une bulle financière planétaire.

Tout le monde avait intérêt à cette croissance factice, à ce monde faussement libre, faussement en développement: les Etats-Unis, qui maintenaient sans effort leur suprématie, les autres  gouvernements, qui assuraient le plein emploi, les plus pauvres, qui avait accès au logement, les entreprises, qui fournissait les produits, les épargnants, qui touchaient des dividendes significatifs, et surtout le système financier mondial, principal bénéficiaire de la bulle.

Mais comme à un moment, la dette doit finir par être remboursée, ou être annulée, la croissance qu’elle permet en augmentant s’interrompt avec elle. Commence alors la  crise: récession, chômage, dépression, désordres politiques. Elle appelle des solutions radicales, pour organiser la transition vers le monde nouveau qui s’annonce.

La réduction inévitable de cette bulle ne peut que remettre en cause, au moins provisoirement, la toute puissance américaine et préparer un basculement vers un monde plus équilibré où tous partageront la responsabilité des immenses défis qui attendent l’humanité. En attendant que quelqu’un assume une nouvelle suprématie, par la maitrise des technologies nécessaires à la résolution de ces conflits.

Seulement voilà : chacun, parmi les puissants, pense que la crise n’est que passagère et que l’on reviendra vite à l’ordre ancien ; et personne ne veut véritablement assumer la nature profonde des changements nécessaires pour la résoudre, qui sont immenses.

Alors qu’il faudrait réduire la dette du monde, on ne fait pour l’instant que l’augmenter.

Partout, au lieu de réduire l’endettement excessif, de peur de la récession, on fait  financer la survie du système par  tous ceux qui peuvent avoir encore des ressources : les banques, quand elles veulent bien ; les Etats quand personne d’autre ne peut ;  comme il n’est question, nulle part, d’augmenter les impôts, les Etats eux-mêmes s’endettent, en empruntant auprès des épargnants, nationaux ou étrangers, et, en dernier recours auprès des banques centrales. Les chiffres le démontrent: alors que la dette américaine aurait dû se réduire, elle est passée de 350% du PIB du pays à la fin de 2007 à 500% à la fin de 2008. De même, la dette européenne augmente dans les mêmes proportions. Et bien d’autres prêts sont en train de devenir non remboursables : les produits dérivés, les cartes de crédit, les crédits Alt-A. Et surtout personne n’est plus là pour les racheter.

Les banques commerciales continuent pourtant  de prêter plus de 20, 30 et parfois 50 fois leurs fonds propres, eux-mêmes en voie de disparaitre, en partie ou en totalité, car  personne ne sait ce que valent les produits dérivés qui constituent l’essentiel de ces actifs. Le système bancaire mondial est ainsi au bord de la faillite.

Le pire est donc vraisemblable: un effondrement du système bancaire mondial suivi d’une inflation planétaire.

Cette croissance de la dette publique, après celle de la dette privée, ne peut qu’entrainer la catastrophe : la faillite des ménages, des banques, et même des pays. Ce qui s’est produit pour l’Islande peut se produire pour des pays de plus en plus importants ; si la panique s’empare un jour de ceux qui leur prêtent.

Tout deviendra possible: l’effondrement du système bancaire anglo-saxon, dont les pertes seraient devenues hors de portée de tout sauvetage. Cette panique peut être déclenchée par la prise de conscience de l’insolvabilité du système. Elle peut aussi se déclencher par des mouvements de spéculation politique ou terroriste : de nombreux groupes déterminés, avec des moyens limités, peuvent organiser la  vente à terme des actions d’une banque, la montée  de la valeur des CDS, qui mesurent les risques attachés à cette banque, et la faire s’effondrer.

On peut en arriver alors à une dépression planétaire. Elle pourrait même être suivie d’une hyperinflation, provoquée par l’immensité des moyens monétaires crées depuis le déclenchement de la crise ; elle permettrait de réduire à néant la dette, au profit des emprunteurs. Le monde vivrait alors une dépression en situation d’inflation : un Weimar Planétaire.

Pour contourner la catastrophe, il faut au plus tôt réduire de façon organisée les dettes des emprunteurs et restaurer les fonds propres des préteurs

La première réforme suppose d’étaler la dette des plus pauvres, (en particulier pour ceux qui ont emprunté pour leur logement et qui sont hyperendettés) même si c’est au détriment des bonus et des dividendes des actionnaires et des dirigeants des banques.

La seconde réforme suppose d’organiser la restauration des fonds propres des banques. Cela ne peut se faire que par les contribuables, qui doivent devenir les actionnaires des banques et bénéficier des profits ultérieurs.  Pour y parvenir, le cantonnement des mauvaises dettes dans une banque de défaisance serait techniquement difficile (quel périmètre? Quel prix?) et politiquement scandaleux (pourquoi mettre les pertes à la charge des contribuables en laissant les bénéfices aux actionnaires?) Il faudra donc nationaliser les principaux systèmes bancaires, au moins provisoirement et gérer, avec la structure de passif actuel, l’extinction des bilans des banques d’investissement.

Si les Chinois et les pays du Golfe financent encore le déficit américain (mais où pourraient-ils placer leur épargne autrement?), cela devrait suffire pour permettre une  amélioration progressive de la valeur de certains actifs discrédités, la renaissance du marché du crédit et, à terme de deux ou trois ans, la relance de l’économie mondiale.

Il faut ensuite se donner un nouveau projet, alors qu’on ne fait pour l’instant que de recopier les recettes du passé.

Une fois la dette réduite, la croissance nouvelle  ne pourra être durable que si elle ne s’en remet pas  aux mêmes vieille solutions, en particulier si elle ne passe pas par la relance de grands travaux sortis des fonds de tiroir, et si on limite la dette publique au financement des investissements dans les biens publics mondiaux : l’eau, l’air, la terre et l’énergie.

L’humanité n’est forte que quand elle comprend qu’elle affronte une pénurie, et qu’elle en tire les conséquences pour y apporter une réponse. Et comme la crise de 1929 n’a pu être résolue que par la mise en place des infrastructures électriques permettant le développement de l’industrie des biens d’équipements ménagers, la crise actuelle ne sera dépassée que quand seront mises en place les infrastructures nécessaires aux exigences environnementales de demain. Tel devrait être l’objet de la prochaine réunion du G20.

Il faut enfin organiser autrement les institutions de la planète, alors qu’on ne pense encore aujourd’hui qu’à sauver celles qui existent

On ne peut avoir une globalisation du marché, sans globalisation de l’état de droit. Et rien ne prépare à cette globalisation de l’état de droit : Américains et Européens ne pensent qu’à maintenir l’ordre actuel, fait de non dit, d’institutions factices et d’immenses zones de non-droit. On ne peut pas attendre beaucoup de la prochaine réunion du G20, à Londres, lieu principal de la fraude fiscale et de la dérégulation financière. Elle s’annonce comme une réunion d’Alcooliques Anonymes dans un bar à vin.

Et pourtant, ce qui est à faire est assez simple : fusionner le G8 et le Conseil de sécurité, en y admettant les principales grandes puissances du Sud. Mettre les institutions financières internationales sous la tutelle de ce Conseil de Sécurité rénové, en charge de mettre en place une véritable réglementation planétaire, pour contrôler les hedge funds et modifier les règles de Bâle sur les capitaux des banques. Et s’en servir pour organiser la relance de la production des biens publics mondiaux.

A terme, le monde sera organisé autour d’une  nouvelle coalition de nations, partageant la charge de ces enjeux et non autour d’une seule, comme c’est le cas aujourd’hui.

A moins que, une fois de plus, un vainqueur surgisse, celui qui maitriserait seul les nouvelles technologies de l’avenir. Les technologies vertes décideront de la prochaine superpuissance. Le monde a intérêt à ce qu’elles soient également partagées.