Un mouvement semble avoir pris son envol, aux Etats-Unis et dans certains pays d’Europe, sans qu’on sache s’il retombera juste après son décollage, ou s’il ira haut et loin : celui qui propose à chacun de prendre une décision simple : ne rien acheter, hors du strict nécessaire, pendant un an, pour participer soi-même à la lutte contre le réchauffement climatique, la pollution des mers et le gaspillage des matières premières.
A première vue, l’idée d’une telle grève de la consommation, déjà proposée il y a bien longtemps, peut paraitre farfelue : nul ne peut se passer de manger, de se loger, de se vêtir, de se soigner, d’apprendre, de se transporter pour aller à son travail. Bien sûr, répondent les partisans de ce mouvement ; cette grève de la consommation ne concerne que le superflu, et surtout, le renouvellement de ce qu’on a déjà. Ne pourrait-on pas se passer, pendant un an au moins, disent-ils d’acheter des vêtements nouveaux, de changer de voiture, de téléphone, de téléviseur, d’ordinateur, et de tant d’autres choses ?
Cette grève est alors obscène, répondent ceux qui s’y opposent : l’immense majorité des gens manquent cruellement ce dont on veut les priver. Très peu de gens sont en situation de pouvoir vivre avec ce qu’ils ont déjà. L’immense majorité des habitants de cette planète comptent chaque dollar, euro ou autre unité monétaire, pour finir leur mois ; alors comment pourrait-on leur demander de se priver volontairement de ce dont ils ne peuvent même pas espérer disposer un jour ?!
Très bien, répondent les partisans de cette grève, limitons là à ceux qui possèdent déjà assez de biens pour ne pas avoir un besoin réel de les renouveler. Après tout, aux Etats-Unis, en France, et dans bien des pays développés, une part significative de la population possèdent assez de biens pour pouvoir se passer de tout achat non vital pendant un an. Parmi les biens vitaux : l’alimentation, le transport, les charges du logement et de l’habillement des enfants. Cela laisse à épargner, pour ceux qui possèdent leur logement, une part plus ou moins significative de leur revenu après impôts, charges sociales, assurances et mutuelles.
N’écartons pas trop vite cette idée.
D’abord, en ce début d’année, il serait intéressant, pour chacun d’entre nous, de calculer sincèrement quelle part de son revenu pourrait être épargnée si on décidait de ne rien acheter qui viendrait en remplacement, ou en complément, d’un bien qu’on possède déjà ; en reportant ces achats non urgents à 2019.
Les premières conséquences sur la société d’une telle grève de la consommation seraient, à priori, séduisantes : moins de pression de la mode, moins de gaspillage, moins de déchets, moins de gaz à effet de serre ; une société plus frugale et plus sereine. Et puis, très vite, viendront les conséquences moins plaisantes : de nombreux pans de l’industrie seront progressivement mis à mal : l’industrie automobile ; celles des biens d’équipement ménagers et électroniques ; celles des vêtements, des chaussures, des mobiliers, des bijoux, des produits de luxe de toute nature ; et même, celles des livres, des films, des œuvres musicales, sous leurs formes physiques ou électroniques. En contrecoup, des millions d’emplois seraient mis à mal, surtout chez ceux qui, justement, n’auraient pas eu les moyens de participer à cette grève de la consommation, a priori si séduisante et en réalité si naïve.
Il n’empêche : il faut sortir de ce cercle infernal et amorcer la réorientation de la production et de la consommation. Et au lieu de parler d’une grève de la consommation, il serait plus judicieux de parler d’une « consommation positive », qui réorienterait au plus vite les achats de ceux qui le peuvent vers des biens durables, sans céder aux modes, en renonçant à vouloir paraitre par l’inédit . Et à réinventer les objets qu’on a déjà, pour en faire soi-même des nouveaux.
Bien des industries devraient repenser leurs productions, qui deviendraient, elles-aussi, positives.
Et pour élargir le nombre de ceux qui pourraient y participer, une réduction des inégalités serait la meilleure voie.
Voilà un sujet qui mériterait plus de débats que les trop médiocres polémiques qui abiment en ce moment le débat public…
Alors, quand commençons-nous ?