En ces périodes d’incertitudes, il serait temps de réfléchir aux conséquences pour l’Europe d’une croissance très lente, voire nulle, qui pourrait durer très longtemps.

L’idée d’une croissance zéro du PIB n’est pas nouvelle: dans les années 70, bien des gens ont cru naïvement que cela réglerait tous les problèmes de l’environnement et de la rareté des ressources; avant de comprendre que ce n’est pas la croissance qui pollue, mais la production, et que, pour en changer la nature (et en particulier la rendre plus économe en énergie), il faut investir, donc croître, ou au moins améliorer massivement la productivité.

De fait, même sans croissance du PIB, l’amélioration permanente et planétaire de la productivité du travail et de la vitesse de calcul des machines conduisent à des progrès considérables et permanents de la performance des objets, en particulier de ceux utilisant le numérique : machines à laver, téléphones, ordinateurs, téléviseurs, automobiles sont infiniment plus puissants, et de moins en moins coûteux.

Et dans ces pays à croissante lente , ceux qui sont à la pointe de l’innovation, ou détiennent des rentes, s’octroient une part croissante des richesses produites , même en quantité constante.
La vraie victime d’une croissance nulle, c’est donc l’avenir: le financement de la dette publique, de l’emploi et des retraites, n’est plus assuré par des richesses nouvelles, mais par un transfert de patrimoines entre groupes sociaux et entre générations.

Le meilleur exemple en est le Japon, qui connaît une croissance quasi nulle depuis 20 ans . Ce fut, et c’est encore, relativement facile a vivre, en raison du déclin de la population, qui permet de maintenir une croissance du pouvoir d’achat de chaque japonais, dans une société relativement égalitaire. De plus, les emprunts de l’État et l’épargne considérable des japonais ont permis au pays de maintenir une grande capacité d’innovation, et de rester le leader mondial dans l’essentiel des technologies permettant des économies de main d’œuvre ou d’énergie…

Avec la crise mondiale, la croissance de l’occident s’est encore ralentie et les problèmes du Japon vont se généraliser à d’autres pays…

En particulier, le rythme annuel de la croissance française s’est réduit d’ un point à chaque décennie; il pourrait désormais s’établir durablement sur un plateau de 1% par an, ou moins. Un tel rythme de croissance augmenterait encore le PIB par habitant de 0,5% par an soit environ 165 euros.

Naturellement, en l’état actuel des rapports de force, les plus riches s’octroieront une part très supérieure et les plus pauvres verront leurs revenus décroître.

Pire encore, une croissance nulle conduirait a une baisse du pouvoir d’achat moyen par tête de 0,5%, par an, à une hausse permanente de la dette publique, et à une inexorable aggravation du chômage. Avec une inégalité croissante.

Pour vivre avec cela, bien des réformes s’imposent: réduire le déficit budgétaire a un niveau inférieur a celui du taux de croissance du PIB, repartir mieux les moyens de la formation professionnelle en favorisant les chômeurs. Et financer autrement les dépenses d’avenir en prenant l’argent où il est, c’est a dire dans les patrimoines et non dans les revenus.

Au Japon, pays le plus avancé dans cette évolution, il faudrait, pour réduire la dette publique, détenue presque entièrement par des Japonais, la transformer en un impôt, réduisant d’autant le patrimoine des épargnants, ce qui n’aurait presque aucun impact réel sur leur niveau de vie, ,en raison du très faible rendement des emprunts publics. Ou, plus audacieux encore, faire racheter toute la dette publique par la Banque centrale du Japon , avec des conséquences vraisemblablement inflationnistes, ce qui reviendrait a réduire, d’une autre façon, la valeur du patrimoine de chaque japonais , et surtout celle de l’épargne.

En France, le problème pourrait se poser bientôt dans les mêmes termes :
En période de faible croissance, le choix est clair: ou on reforme massivement les dépenses et les structures de l’État et de la formation professionnelle, ou la dette publique et le chômage continueront d’augmenter inexorablement. Jusqu’à la faillite, et/ou la révolution.
Car, pour les financer, il faudra alors soit spolier l’épargne des plus pauvres, soit imposer massivement les patrimoines des plus riches. Par une ponction sur les dépôts d’épargne des salariés ou par un impôt sur tout les patrimoines, sans exception.

A ce choix , l’aggravation de l’endettement et du chômage ne permettra plus d’échapper très longtemps.