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Le climat n’est pas de saison ; en tout cas, en Europe : selon le calendrier, nous sommes au milieu du printemps, et pourtant, il fait froid ; le ciel est gris ; nulle part, le soleil ne se montre vraiment ; le gel même, tardif, a détruit les promesses de récoltes les plus précieuses. Malgré toutes les prévisions d’un inéluctable réchauffement météorologique, le dérèglement climatique se manifeste en fait par un printemps plus froid que la moyenne séculaire.

Et pourtant, on vit comme si tout était normal ; comme si le printemps était vraiment là ; comme si les arbres étaient en fleurs et le soleil très chaud ; personne ne se plaint ; on s’émerveille ; on mime un week-end de l’Ascension ensoleillé, heureux et normal, on part en vacances.

Plus généralement, on fait comme si on retournait en tout à la normalité :

La pandémie est elle aussi encore là, malgré les progrès de la vaccination ; et pourtant, on fait comme si elle se terminait ou presque ; les restaurants, les boutiques, les cinémas, les théâtres réouvrent.   On fait  ainsi semblant en tout de vivre dans un monde normal. Comme pour créer la normalité en la mimant.

Comme on en a assez d’un trop long hiver, on fait comme si le printemps était vraiment là ; et comme on en a assez d’une interminable pandémie, on fait comme si elle était terminée.  Et on se sert de l’un pour se rassurer à propos de l’autre : l’hiver, lui, finira par s’en aller, très bientôt sans doute ; et on aimerait croire qu’il en ira de même avec la pandémie ; qu’elle va s’en aller bientôt elle aussi.

Ce déni de réalité n’est peut-être, comme avec la météo, qu’une simple façon de vivre à l’avance un printemps tardif, avant un été flamboyant.

Pourtant, rien n’est normal. Et si on était raisonnable, on ne devrait pas encore aller sur les plages ou dans les restaurants et les théâtres.  Ou au moins n’y aller qu’avec d’infinies précautions ; on ne devrait aller sur les plages qu’avec de gros pulls et dans les restaurants avec des distances considérables.

Si l’on veut éviter que cela soit la meilleure façon d’attraper une grippe tardive, et de voir revenir le virus, il faut bien se protéger, du froid et de la contagion ; il faut vivre ce printemps tardif lucidement, en sachant qu’il n’est pas un printemps comme les autres, qu’il n’y aura peut-être plus de printemps comme les autres. Que rien ne sera plus comme avant. Qu’il ne sert plus à rien de remettre nos pas dans nos habitudes millénaires. Qu’il ne sert à rien de penser que l’hiver est fini, que la pandémie se termine, que le monde est revenu à la normale. Car il n’y a plus de normalité. Le monde change radicalement ; dans toutes ses dimensions naturelles et sociales. Le temps n’est plus à la répétition, à l’attente du même.

Et la métaphore ne s’arrête pas là : Si, sur la météo des semaines à venir, comme sur l’évolution à court terme de la pandémie, on ne peut rien, sinon s’en protéger, on pourrait beaucoup sur la météo des années à venir et sur l’émergence de pandémies futures.

Il faudrait pour cela entreprendre, dès maintenant, énormément de transformations de nos comportements et de nos infrastructures, ayant les unes et les autres un impact sur notre climat et sur notre santé.

Preuve de plus, s’il en fallait une, que notre santé n’est pas séparable de celle de notre planète, et qu’il faudrait traiter l’une et l’autre, en appliquant d’abord le même principe : ne pas se mentir à soi-même.

Plus généralement, cet étrange printemps est comme une métaphore de l’état de notre société.  On vit comme si c’était normal une vie à crédit, assistée, imaginaire, virtuelle. Il est rare qu’il suffise de mimer  le réel pour le faire advenir.

 

j@attali.com