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Le début de l’été 2021 restera dans l’Histoire comme un moment charnière, à l’égal de l’été 1936, quand les démocraties occidentales avaient choisi, face aux dictatures bellicistes, de se distraire plutôt que de se réarmer : allons-nous, sur la planète entière, comme tous les peuples naïfs du passé, continuer de nous bercer d’illusions ? Allons-nous croire à la fin imminente de la pandémie, au retour inéluctable de la croissance et de l’emploi ? Allons-nous nous accrocher à quelques très bonnes nouvelles, nous enthousiasmer pour quelques spectaculaires compétitions olympiques, après nous être extasié devant des joueurs de football ? Ou bien allons-nous prendre conscience et attacher enfin de l’importance à ce qui se joue vraiment de très grave en ce moment ? Allons enfin comprendre qu’il faut renverser la table et agir très très vite ? Allons-nous comprendre que, pour les prochaines élections, en particulier en France, seuls des programmes radicaux seront crédibles ?

Tout démontre en effet que le  bouleversement climatique est beaucoup plus rapide et beaucoup plus extrême que ce que prévoyaient les modèles les plus alarmistes. Tout établit que la pandémie est encore là pour longtemps, que les vaccins sont encore très insuffisamment déployés, et que les variants se multiplient, de plus en plus offensifs (on en est au delta ; qu’en sera-t-il lorsqu’on en sera au zêta, ou à l’oméga ?) Tout établit que le pire peut revenir à l’automne, écrasant des peuples épuisés, des systèmes de santé à bout de souffle, des pauvres plus démunis que jamais.

Tout cela ne doit pas nous conduire à désespérer : nous avons tous les moyens technologiques, financiers et humains pour l’éviter. De fait, beaucoup se rassurent  à peu de frais : Le basculement vers les énergies non carbonées est en marche, disent-ils, à grande vitesse ; les moyens de transport électrique, ou avec hydrogène, sont presque partout disponibles. Les vaccins sont maintenant produits en masse, disponibles mondialement et adaptables très rapidement aux besoins.

Seul problème : la production et le développement des moyens de mobilité non carboné sont bien trop lents, comparés aux besoins. De même, la production, la distribution et l’acceptation des vaccins sont si lentes que les variants auront tout le temps de muter jusqu’à pouvoir contourner cette barrière. De plus, on ne voit rien venir de sérieux pour résoudre d’autres problèmes majeurs que cette crise révèle et aggrave : partout, les systèmes de santé sont au bord de la faillite, avec des personnels honteusement mal payés et des équipements insuffisamment modernisés ; les systèmes de formation courent à la catastrophe. De même encore, rien n’est fait de sérieux pour réduire la consommation de sucres artificiels, pour permettre aux enfants du monde de faire du sport tous les jours ou pour les nourrir sainement.

Certes, les plus riches trouveront toujours où se soigner, où former leurs enfants, où vivre à l’abri des dérèglements climatiques et des pandémies ; mais les peuples s’enfonceront plus encore qu’aujourd’hui dans les malheurs qui s’annoncent.

Tout cela par passion de la distraction. On se souvient pourtant avec effroi, aujourd’hui, des  peuples s’enthousiasmant pour les Jeux Olympiques de Berlin, et y voyant une preuve de la bonne volonté générale et de la garantie d’un avenir pacifique. Et pourtant, seulement trois ans plus tard, la pire catastrophe, prévisible, s’abattait sur la planète.  Saura-t-on ne pas refaire la même erreur ? Saura-t-on ne pas se laisser endormir de nouveau  par le poison de la distraction ?

Les problèmes avancent au galop du léopard ; les solutions progressent au pas de la tortue.

Le temps est notre pire ennemi et notre principal atout. Ce qui manque, cruellement, c’est une mobilisation générale, pour utiliser sérieusement, massivement, les  moyens formidables  qui s’annoncent  et les rendre vraiment disponibles. Pour cela, toutes les échéances promises doivent être raccourcies. Toutes les firmes, tous les gouvernements, doivent  s’engager à réaliser leur neutralité carbone pour 2030 au plus tard, et pas pour 2040, ou 2050, ce qui est une mascarade. Ils doivent tous s’engager à  réorienter tous  les moyens d’investir vers les énergies non  carbonées, la santé, l’éducation, l’agriculture biologique, l’hygiène, la recherche. A créer les conditions d’un accès égal de tous, de tout milieu social et de tout genre, aux  moyens d’une vie décente.

C’est possible. Avec une vraie mobilisation. Planétaire. En comprenant que rien, dans nos vies privées comme dans nos vies publiques, ne se réglera sans un maximum d’efforts. Que la distraction, aussi merveilleuse  soit elle, ne nous sauvera pas de la barbarie et de l’effondrement. Tout est entre nos mains.

Il suffit de  le vouloir. Très vite. Cet été.

 

j@attali.com