Mon éditorial du Journal des Arts

Comme trop souvent, les débats autour d’une réforme ne portent pas sur les sujets essentiels, mais sur ceux qui peuvent faire de petits scandales accessoires. Ainsi, le prochain projet de loi portant réforme de l’audiovisuel public, si essentiel à l’avenir de la culture en France, sera surtout, vraisemblablement, l’occasion de joutes, au Parlement et ailleurs, à propos du maintien ou non de la redevance audiovisuelle et des conditions de nomination des dirigeants ; plus que sur la nature de l’offre et la façon d’y intéresser les nouvelles générations, pour qui la télévision est désormais aussi démodée que le téléphone fixe ou le walkman.

Bien sûr, il est important de s’assurer que les dirigeants de ces entreprises ne soient pas des marionnettes politiques, et qu’elles disposent de ressources importantes et stables. Les législateurs devront s’en assurer : rien ne serait pire pour Radio France ou France Télévision que d’être dirigée par une femme ou un homme politique oublié, avec des ressources dépendant des caprices des hauts fonctionnaires, (fort compétents bien sûr) , de la Direction du Budget au Ministère des Finances : la Culture n’est, par nature, la priorité ni des uns, ni des autres.

Au-delà de ces nécessités, il en est deux autres, fondamentales, intimement liées l’une à l’autre.

D’une part , il faudrait s’assurer que les programmes soient au niveau de ce dont la France a besoin.
Des programmes de haut niveau culturel, d’une grande intégrité morale, ouverts sur le monde, représentatifs de toutes les composantes de la société française. Tant dans les émissions d’information que de divertissement. Contrairement à ce que trop de gens disent, de tels programmes peuvent intéresser de vastes publics, comme le montrent les succès d’emissions de haut niveau, comme « Cash Investigation », « Taratata », « Le Grand Echiquier », « Stupéfiant », de séries de très belles factures trop nombreuses pour être citées, des documentaires de haut niveau, des émissions scientifiques et médicales passionnantes, la quasi-totalité de la programmation de France Culture, de France Inter et d’Arte, et tant d’autres encore. Par contre, l’audiovisuel public n’a rien à gagner à continuer à singer les pires chaînes privées, à diffuser des programmes de téléréalité consternantes, des jeux débiles, des émissions de variétés vulgaires, des séries insipides, françaises ou américaines. Le public français est de bien plus haut niveau que ne le croient des programmateurs qui le méprisent.

Ensuite, il faut penser à mettre ces programmes à la disposition des générations nouvelles qui ne regardent plus ces médias de la même façon qu’il y a trente ans : Presque plus personne ne regardera, à l’avenir, la télévision, ou n’écoutera la radio à l’heure où les programmes sont diffusés. Il faut donc les penser en tenant compte du fait qu’ils seront vus à une heure quelconque, sur un écran d’ordinateur, de tablette, de téléphone.

Au moment où la demande de culture est de plus en plus grande, où les besoins de formation permanente sont de plus en plus exigeants, où des jeunes adultes et des retraités de plus en plus nombreux ont soif d’apprendre, le moment est venu de faire appel à de toutes nouvelles compétences, capables de distraire avec les sujets apparemment les plus rébarbatifs. Ils existent. Ils sont, pour beaucoup, hors du sérail consanguin d’où vient pour le moment l’essentiel des productions audiovisuelles. La réforme ne sera réussie que si elle convainc ces gens, innombrables, de se mettre au service d’une véritable culture populaire, tolérante, exigeante et lucide. Il n’y a pas de plus beau défi.

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