Avant que ne reprenne le débat au parlement sur la loi Hadopi, il est important de faire le point.

D’abord, qu’on me comprenne bien : En écrivant ce qui suit, je  souhaite aider les artistes et les producteurs qui les soutiennent  à mieux maitriser les enjeux des nouvelles technologies, et à en tirer le meilleur, pour mieux  créer et  garantir leurs revenus.

Les changements techniques n’ont jamais été et ne sont  pas des ennemis des artistes : elles ont permis d’inventer de nouvelles façons de créer (le piano, le violon,  la photographie, le cinéma) et de nouvelles façons de faire connaitre leurs œuvres (le livre, l’imprimerie, le gramophone, la radio, la télévision, le cd, le dvd   ). A chaque fois, il fut dit par des experts que tout cela conduirait  au désastre pour les artistes. A chaque fois, ils ont su en tirer le meilleur, pour créer autrement et se faire mieux connaitre.

Il en va de même  à propos d’internet. Et bien des contrevérités ont été proférées récemment sur ces questions.

Aussi, je propose de débattre séparément de dix propositions, qui méritent chacune une discussion calme et  approfondie :

1.                  La gratuité  d’un service pour le consommateur n’entraine pas nécessairement  le non rémunération du producteur du service :   La gratuité  pour le consommateur d’un service est l’expression de sa socialisation, pas de l’exploitation du travail de son  producteur : le  contribuable paie le professeur ou le policier, qui ne travaillent pas gratuitement ; la publicité paie les gens qui travaillent à la radio ou à la télévision et qu’on écoute gratuitement.  En particulier, le musicien ou le cinéaste est, à la radio ou à la télévision rémunéré par d’autres que ceux qui l’écoutent.  Et les artistes n’ont pas à s’offusquer de ne pas etre payés  directement par ceux qui  trouvent de l’intérêt à leurs œuvres.

2.                    Le téléchargement gratuit n’est pas la même chose que la piraterie, car la musique, ou le cinéma  n’est pas un objet matériel : Si je vole un pain, celui à qui je le prends ne l’a plus. Si je télécharge de la musique ou du cinéma, je n’en prive personne.  L’art obéit donc à d’autres lois économiques, depuis toujours.  C’est l’objet des droits d’auteur, qui peuvent etre payés par d’autres que le consommateur final.

3.                  Le téléchargement gratuit est, en soi, un facteur de développement de l’économie de la musique et du cinéma : les gens qui téléchargent sont les mêmes qui achètent et qui vont au concert.  Comme c’est le cas,  depuis un siècle,  avec la radio. Une étude récente montre même que ceux qui téléchargent, regardent  ou écoutent le plus en streaming sont ceux qui, ensuite, achètent le plus de CD ou de DVD.

4.                  Le système de  surveillance et de sanction de ceux qui téléchargent gratuitement, comme celui de la loi Hadopi ne marchera pas,   en raison, en particulier,  du basculement au streaming, qui n’est pas couvert par la loi.

5.                  Pour les artistes, l’important n’est pas de savoir qui les télécharge, mais combien de personnes les téléchargent.  Il faut donc inverser la charge de la preuve et obtenir des fournisseurs d’accès une information sur le nombre  d’internautes  qui téléchargent un artiste et non pas sur le nombre d’artistes téléchargés par un internaute. C’est possible : voir en particulier ce que fait BigChampagne,   qui analyse  les flux de téléchargement en peer to peer. Cela évite aussi aux artistes de devenir des auxiliaires de la police.

6.                  Le fournisseur d’accès est l’équivalent d’un ensemble de  radios ou de télévisions.  C’est lui qui bénéficie le plus du téléchargement et du streaming. Il serait normal qu’il soit mis à contribution, au profit des artistes.

7.                  Les majors, qui ont déjà compris que la loi Hadopi ne marchera pas,  sont  en train de mettre en place la licence globale, à leur seul profit, en  se préparant à offrir  des abonnements spécifiques sur internet qui permettront d’avoir accès à la totalité de leur catalogue, pour un prix forfaitaire, sans que chacun ne paie pour le film ou la chanson qu’il télécharge. C’est exactement la licence globale, qu’ils font semblant de refuser par ailleurs.   Les artistes en seront écartés, s’ils ne sont pas dans ces catalogues. Et même s’ils y sont, ils n’en auront que les miettes.

8.                  Les  artistes (musiciens et cinéastes)  doivent   s’approprier la licence globale, en définir le mode de contrôle, de tarification et de perception,  pour en avoir le meilleur et pas seulement ce qui leur restera, une fois que  l’accord sera  fait entre majors et fournisseurs d’accès.  Patrick Zelnick vient d’en reconnaitre la nécessité, et c’est un grand progrès dans la convergence de nos points de vue.

9.                   Les musiciens  n’ont  donc rien à perdre à ce que les gens les enregistrent pendant leurs concerts : les spectateurs ont payé leur place, ils ont droit à en garder le souvenir, comme ils ont droit à prendre des photos.  Le droit à enregistrer un spectacle fera partie du prix payé pour y assister. Demain, tous les artistes distribueront même  à la sortie du concert  le cd ou le dvd du concert  lui-même. Telle est la grandeur de l’artiste : il doit prendre le risque que l’on garde la trace de sa performance, même si elle n’est pas aussi parfaite qu’un enregistrement en studio.

10.                Les nouvelles technologies permettront d’inventer des  formes artistiques nouvelles, rémunératrices pour les artistes :   En musique sont en particulier en train d’apparaitre de nouvelles façons de créer des œuvres et de les valoriser.  Au cinéma, le 3D remplira de nouveau les salles. En particulier, l’arrivée du iPhone et demain d’autres technologies conduiront  à de nouvelles façons d’organiser des micros paiements, dont les artistes devraient etre les bénéficiaires, s’ils savent s’organiser,  dans un monde où le cout de production et de distribution de leurs œuvres sera  sans cesse en baisse.

Une table ronde, comme vient de le proposer très justement Patrick Zelnick,  devrait discuter calmement de chacun de  ces dix  points, en réunissant  tous ceux qui sont concernés : les artistes, les  producteurs, les agents,  les sociétés d’auteurs, les tourneurs,  les consommateurs, les fournisseurs d’accès.

Il pourrait en sortir des choses neuves.