En ces temps de trouble et de désordre, à un moment où tous les gouvernements démocratiques sont contestés, attaqués, vilipendés, renversés, il est facile de dresser un réquisitoire contre la démocratie, telle qu’elle est pratiquée, presque partout dans le monde :

1. Elle ne crée pas assez d’emplois ni d’assez bons emplois.
2. Elle n’assure pas à chacun le pouvoir d’achat espéré.
3. Elle ne sait pas empêcher la prolétarisation des classes moyennes et la désertification de vastes territoires, provoquées par le tsunami du progrès technique et par la globalisation des marchés.
4. Elle conduit à la concentration des pouvoirs entre les mains de quelques groupes, détenteurs d’un capital culturel et relationnel.
5. Elle reste enfermée dans les frontières de ses domaines de compétence, qui sont de plus en plus étroites.
6. Elle ne fournit que des solutions de court terme et semble incapable de convaincre les peuples de faire passer les enjeux de l’avenir avant ceux du présent.
7. Elle obéit au capitalisme qui provoque les gaspillages des ressources naturelles et le piétinement des plus faibles.
8. Beaucoup de dirigeants de ces démocraties, fascinés par l’apparat qui les entoure, ne réalisent pas qu’ils n’ont pratiquement plus aucun pouvoir sur le réel.
9. Beaucoup d’électeurs, (convaincus que tout ira bientôt plus mal encore, pour eux, et pire encore pour leurs enfants), ne pensent qu’à fuir ou à se désintéresser du politique.
10. Admirant l’efficacité apparente des régimes totalitaires, de plus en plus de gens pensent que la dictature serait un bien meilleur système ; ceux-là ne veulent pas seulement le départ de ceux qui gouvernent. Ils veulent en finir avec les institutions républicaines.

Pourtant, la démocratie reste le meilleur des systèmes. A condition de lui rappeler ses trois missions principales :
A. Permettre à chacun, par l’école, de trouver sa raison d’être. Et de lui en fournir les moyens.
B. Laisser chaque collectivité, aussi petite soit-elle, agir pour elle-même.
C. Donner du sens à l’action commune, en se mettant au service des générations futures, pour faire en sorte que l’avenir soit meilleur que le présent.

Les électeurs ne doivent s’en prendre qu’à eux même si leurs parlements et leurs gouvernements sont incapables de se concentrer sur ces enjeux majeurs ; si leurs dirigeants ne sont pas à la hauteur de ces formidables défis et ne sont trop souvent que des marionnettes médiatiques. Ce sont eux qui les ont choisis.

Et ce n’est pas en les remplaçant par des clones plus à droite ou plus à gauche qu’on y changera quelque chose. Et pas non plus en remplaçant les élus de la démocratie représentative par des dictateurs, ou par des dirigeants tirés au sort, qu’on recréera le lien éthique et moral dont les communautés humaines manquent tant aujourd’hui.

Pour y parvenir, il faudrait que, dans chaque collectivité humaine, les dirigeants soient choisis sur leur capacité à comprendre les mouvements du monde, à incarner la grandeur commune, à dire la vérité, à ne pas flatter les plus bas reflexes, à écouter, à respecter, à apprendre, à changer d’avis, à faire confiance, à écouter, à aider, à encourager, à s’émerveiller, à admirer, avec humilité et empathie.

Les pays qui réussiront à choisir durablement ce genre de dirigeants retrouveront le chemin de la croissance et de la sérénité.

Quand ? Où ? Qui ?

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