Je n’ai jamais aimé les films d’horreur. Et, depuis quelque temps, je n’aime pas non plus les films qui finissent mal. Je supporte même de moins en moins bien les films dont le ressort dramatique est la mort possible du héros. Au point que, quand le scénario devient trop noir, et la menace particulièrement cruelle, il m’arrive d’interrompre la projection.

C’est ce qui est en train de se passer aujourd’hui, pour beaucoup de gens, devant le spectacle du monde : de plus en plus d’habitants de cette planète en ont assez des catastrophes qu’on leur annonce, surtout quand on les décrit comme irréversibles. Ils se réfugient alors dans la sphère privée.

L’opposition qui se creuse aujourd’hui n’est donc pas, comme le prétend Trump, entre « patriote » et « mondialiste » (qui sont deux attitudes parfaitement compatibles) mais entre asocial et altruiste : les asociaux vivent enfermés en refusant de voir le monde, qui va mal ; tandis que les altruistes, tout autant inquiets, agissent pour que le monde se porte mieux.

Mais il ne faut pas que certains altruistes, à force de décrire les catastrophes à venir, d’une façon extrême et résignée, (comme le font certains écologistes ou certains collapsologues) poussent les autres à refuser de regarder ce spectacle, à s’éloigner du monde, à devenir à sociaux, égotistes, nombrilistes.

Ce qui est, par ailleurs, un comportement de plus en plus répandu : les études les plus savantes, (lire en particulier, pour les Etats-Unis, « iGen » de Jean M. Twenge, professeure de psychologie à l’Université de San Diego) démontrent que les jeunes générations, en particulier dans les pays développés, sont de plus en plus nombrilistes : de moins en moins de ces jeunes ont un permis de conduire ; de plus en plus vivent chez leurs parents ; de plus en plus ne s’intéressent aux réseaux sociaux que pour y trouver des plaisirs solitaires, en pratiquant des jeux vidéo ; de moins en moins ont des partenaires sentimentaux, même éphémères ; de moins en moins, même, ont des enfants ; et s’ils en veulent, cela ne passe plus nécessairement par la sexualité.

C’est cela qui se dessine aussi avec la préférence pour la sécurité, le recroquevillement et l’enfermement, au détriment même de la liberté, partout dans le monde, y compris dans les démocraties si amoureuses, théoriquement, des libertés, et pourtant si promptes à les abandonner quand la sécurité n’est plus assurée.

C’est enfin cela qui s’annonce là où le « commun » s’efface devant le particulier, où les partis politiques se fragmentent pour ne représenter que des intérêts de plus en plus spécifiques, rendant les nations ingouvernables. Jusqu’à ce que des dictateurs s’emparent des esprits de citoyens devenus des zombies asociaux, pour en faire des zélés serviteurs.

Alors, faut-il nourrir ce cauchemar ? Faut-il annoncer la fin de nos civilisations ? Faut-il raconter d’une façon mortifère une suite tragique de l’histoire du monde ? Faut-il participer, en prédisant un désastre irréversible, à un assassinat des démocraties ? Non, bien sûr.

Si on veut les sauver, nous n’éviterons pas, dans les décennies à venir, d’avoir à combattre pour la survie même de l’espèce humaine et des libertés. Ce combat n’est pas perdu. Il vaut la peine ; Il suppose des réformes majeures de nos comportements individuels et collectifs. Il exige de fuir le nombrilisme, de devenir altruiste, dans toutes les dimensions de ce mot. Dans chaque acte de nos vies. On y trouvera bien plus de bonheur que dans l’enfermement.

j@attali.com