Après la crise de 2008, une décision rétroactivement sage des régulateurs a obligé la plupart des banques occidentales à vérifier si elles avaient les moyens de résister à une crise ultérieure. Cela conduisit un grand nombre d’entre elles à augmenter leurs capitaux propres, et à se débarrasser de portefeuilles de prêts risqués et de filiales hasardeuses.

Aujourd’hui, la menace d’une crise financière mondiale rode de nouveau, parce que les banques, les entreprises et les Etats ont pris, encore une fois, des risques inconsidérés. En particulier, les entreprises sont plus endettées que jamais et doivent servir des intérêts significatifs à des investisseurs prêts à prendre tous les risques pour obtenir une rémunération non nulle.

Si la conjoncture se retournait, beaucoup de ces entreprises pourraient avoir le plus grand mal à se financer ; elles tomberaient en faillite et la récession s’accélèrerait. A la différence de ce qui s’est passé après 2008, les gouvernements ne pourraient pas décider d’une relance par une hausse massive des dépenses publiques, qui atteignent déjà des niveaux excessifs. De même, les banques centrales ne pourraient pas baisser les taux d’intérêt qui, eux, sont au plus bas, ni acheter beaucoup plus de bons du trésor. Le choc sera donc rude.

Il est donc urgent pour toutes les entreprises, et pas seulement les banques, de vérifier l’impact d’une baisse des commandes et d’une restriction du crédit. Et de mettre en place les moyens de s’en prémunir.

Une telle prudence s’impose aussi à d’autres qu’aux entreprises : aux gouvernements, qui ne pensent jamais à mettre de coté de quoi réagir aux chocs à venir ; aux ménages, qui devraient vérifier leur capacité à réagir en cas de hausse des taux de leurs emprunts et la baisse de leurs revenus ; aux épargnants, aux salariés ; à l’Union Européenne, qui n’est pas à l’abri d’une explosion ; aux civilisations, qui refusent encore de se préparer sérieusement aux crises écologiques qui les menacent.

Plus généralement, chacun devrait vérifier à intervalles réguliers sa capacité à résister aux évènements qui pourraient lui porter tort. Pas seulement aux crises économiques. Mais aussi aux crises écologique, sociale, migratoire, politique ; et même aux crises personnelles de quelque nature qu’elles soient.

Peu de gens, peu d’organisations, ont le courage d’établir une liste lucide des risques qu’ils peuvent courir, des catastrophes qui peuvent les atteindre. Et moins encore créent les conditions pour les éviter, ou se préparent à en atténuer les conséquences, si elles ont lieu.

C’est pourtant un exercice fort salutaire. Il exige de passer en revue tous les scenarii, de quantifier autant que possible leur vraisemblance, de réduire la probabilité des moins désirables, et l’impact de leur avènement.

Par exemple : quelle est la probabilité que mon principal client fasse défaut ? Que je perde mon emploi ? Que je sois quitté par mon partenaire ? Que puis-je/ dois-je faire pour l’éviter ? Comment devrais-je réagir si cela se produit ?

C’est dans la nature humaine que de refuser de voir les nuages les plus noirs, même quand ils sont déjà sur nos têtes ; de penser que tous les problèmes finissent par trouver une solution par eux-mêmes et de refuser se livrer à ce genre d’exercice préventif.

L’histoire nous apprend pourtant que les civilisations, les nations, les entreprises, les familles, disparaissent quand elles cumulent pusillanimité, aveuglement, et procrastination. Et qu’elles ont besoin, pour survivre, d’allier courage, lucidité, et volonté.

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