Sous prétexte d’une louable recherche de justice sociale, les débats fiscaux masquent trop souvent en France une tendance, si particulière à notre pays, qui conduit beaucoup de gens à vouloir punir ceux de leurs voisins qui s’enrichissent, et à détester ceux de leurs concitoyens qui réussissent. Préférant meme parfois travailler à l’échec des autres plutôt qu’à leurs propres succès.

Pour beaucoup de gens en effet, la richesse de quelques-uns de leurs voisins est un scandale ; alors que cela devrait etre la pauvreté des autres qui les pousse à la révolte.

Car nous sommes dans une société très injuste, où la misère est immense et où les écarts de revenus et de patrimoines sont obscènes. Et face à cela, existent deux attitudes : se contenter de répartir les fortunes existantes ; ou permettre à chacun d’en créer de nouvelles. Cela renvoie à deux conceptions de la société.
Dans la première, on pense le monde comme un ensemble fermé, sans progrès technique, où on partage des biens rares (des ressources financières, des partenaires sexuels, des terres, des positions sociales ; et toutes les autres formes de propriété et de bonheur). On y vit de rentes et on ne peut rien y posséder qui ne soit pris à un autre ; plus généralement, on y pense le succès des autres comme un obstacle au sien.
Dans ces sociétés, essentiellement d’origine rurale, on ne peut avoir quelque chose qu’en le prenant à d’autres, par la guerre ou par l’impôt. Alors, à moins d’imposer une dictature totalement égalitaire, on ne peut jamais y etre heureux : rien ne rend plus malheureux que de souffrir du succès ou du bonheur des autres, aussi minuscule soit-il. Et on n’y réduit jamais la misère, puisqu’on ne crée pas les richesses nécessaires pour y parvenir.
Dans d’autres sociétés, plus ouvertes au monde, en particulier les sociétés maritimes, on comprend que la vie n’est pas un jeu à somme nulle ; que la fortune des autres n’est pas un obstacle à la sienne. Qu’elle en est meme une condition essentielle du bonheur. Parce qu’elle démontre que le succès est possible. Parce qu’elle crée des clients pour sa propre activité. Parce qu’elle pousse, par l’émulation, à la création de ressources nouvelles, et à inventer mille formes de réussite, repoussant les frontières de la rareté.
Quand un autre réussit, dans les sociétés rurales, on se demande : « pourquoi lui ? ». Alors que, dans les sociétés maritimes, on pense : « pourquoi pas moi » ?

Ce n’est pas en empêchant les uns de réussir, ni en leur reprenant une fortune gagnée par leur travail, qu’on évitera l’échec de tous. C’est au contraire en donnant à chacun, en particulier aux plus fragiles, aux plus malheureux, aux plus solitaires, aux moins chanceux, aux plus vulnérables, les mêmes opportunités de réussir, les mêmes occasions de faire assez fortune pour que l’argent ne soit plus un souci ; et surtout d’avoir une bonne vie, dans laquelle on peut choisir l’usage qu’on fait de son temps.

La réponse à la pauvreté et à l’injustice n’est pas dans la punition fiscale des créateurs de richesses, mais dans la mise à disposition de tous des mêmes moyens d’apprendre, de choisir sa vie, d’etre heureux. Et le seul rôle de la fiscalité est alors d’éliminer les rentes (celle de la propriété foncière comme celle de l’héritage) pour financer pour chacun les moyens de devenir soi. En particulier, pour fournir aux chômeurs et aux plus défavorisés les moyens d’une formation professionnelle ; aux plus vulnérables un revenu décent. A tous, une protection équitable.

La fiscalité trouve alors son sens, au service du succès et de l’empathie.