A talent égal, le champion du monde est celui qui aura eu, pendant l’ensemble des matchs de la phase finale, et en particulier le dernier, non seulement le plus de chance, mais aussi le plus de force mentale, de capacité à rester concentré, précis, exigeant ; à résister à la fatigue, au découragement, à la résignation, aux bévues des siens et à la domination des autres.

C’est même ainsi que chacune des deux équipes de Croatie et de France est arrivée en finale : Non parce qu’elles avaient plus de talents que chacun de leurs adversaires successifs, mais grâce à leur force mentale.

Cette attitude, qui mêle des qualités très différences, est parfois résumé e en français par une expression populaire : « la niaque » ; et en anglais par une expression à prétention plus scientifique, « the grit », concept défini par des psychologues américains, dont, surtout, la professeur Angela Duckworth.

Le « grit » désigne la capacité à vouloir, à ne pas se résigner, à persévérer, à agir, à avoir la ténacité pour vaincre les obstacles. On l’associe souvent à la résilience, l’ambition, la volonté, et surtout à la capacité à s’en tenir à un projet à long terme, malgré les difficultés ; par exemple à des études longues, ou à la préparation longue à une compétition sportive, ou à une carrière de concertiste.

Des recherches montrent que ce « grit » est un élément prédictif imparable du succès dans de nombreux domaines. En ce sens, il complète, ou supplée, aux faiblesses d’autres dimensions de la personnalité, comme le QI.

Seulement voilà, comment l’acquérir ? Est-ce une donnée aussi innée que l’est, selon certains, le QI ? Est-il une dimension du QI ? Peut-il lui en être le substitut ? Faut-il se résigner à ne pas l’avoir ? Ou au contraire, peut-on, (comme je pense qu’on le peut pour le QI), le développer par des exercices adaptés ?

Pour moi, (tout comme je ne pense pas que le QI résume l’intelligence humaine, ni ne soit totalement inné) le grit n’est pas une donnée de l’inné, ni une sorte de grâce tombée du ciel, dont on bénéficierait, ou pas, seulement les mystères de la volonté divine, ou des mystères de la génétique.

Selon moi, le grit, comme le QI, se cultive, se développe, se fabrique. En ayant à chaque fois une attitude positive devant les difficultés, en étant tenace, en se nourrissant de petits plaisirs liés à un effort, puis à un effort plus long. Et surtout, surtout, en ayant un projet qui va au-delà de la survie ou de la réussite narcissique. Je suis même convaincu que le grit développe le QI qui, à son tour, développe le grit.

Et si le grit n’est pas inné, c’est qu’il peut s’acquérir grâce aux autres : L’entourage aide à son déploiement. Le grit est contagieux. Pour le dire simplement, vivre au milieu de gens qui « en veulent », qui ont un projet de vie, aide à avoir la niaque. C’est le cas, en général, d’une équipe sportive, où le grit des uns aide à renforcer celui des autres.

De même, dans une famille, la force mentale des enfants vient en partie de celles des parents ; et parfois, réciproquement. En classe, le maître doit donner l’exemple, et être positif avec chaque élève, pour dénicher toutes les dimensions positives de leurs caractères. Dans une nation enfin, il appartient au pouvoir politique de provoquer cette envie de se mobiliser pour soi et pour les autres, de construire un projet dans la durée, d’être positif. Et comme une équipe peut gagner une coupe du monde avec le grit, une nation peut, grâce à lui, trouver son bonheur.

Ainsi découvre-t-on une donnée révolutionnaire : si l’inné vient de soi ; l’acquis vient des autres. Et plus une équipe, une famille, une entreprise, une nation, est solidaire, en connivence et consciente de l’intérêt qu’elle a de faire briller les autres membres de l’équipe, plus elle a une chance d’avoir la force mentale nécessaire pour réussir à mener à bien un projet qui les dépasse tous.

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