La conférence internationale sur la sécurité qui vient de se terminer à Munich, rassemblant, comme tous les ans depuis 1963, les principaux responsables mondiaux de la défense, a été remarquée par les médias, surtout, pour les propos ronflants des uns et des autres sur le terrorisme et les migrants. Pourtant, une autre partie des discussions, bien plus importante, aurait mérité d’être entendue, avec inquiétude et gravité.

On y a vu en effet les dirigeants occidentaux et russes, au plus haut niveau, se disputer avec une violence inouïe sur les sujets les plus divers. Au point que le Premier ministre russe osa affirmer qu’une nouvelle  guerre mondiale était d’actualité et que la Russie était toujours  la « première puissance nucléaire du monde »; que le Secrétaire d’Etat américain, en charge de la diplomatie, menaça de renforcer massivement les moyens de l’OTAN en Europe ; que le premier ministre russe  répliqua en  demandant si les Américains se croyaient encore en 1962, au moment de la crise des missiles de Cuba ; que le Premier ministre polonais compara la présence militaire russe en Ukraine  aux bombardements de l’avion russe en Syrie ; que des dirigeants baltes expliquèrent qu’il fallait s’opposer aux Russes en Europe centrale de la même façon qu’au Moyen Orient ; et, enfin, que George Soros tenta de démontrer que le président russe avait entrepris de déstabiliser brutalement l’Union Européenne pour la détruire avant que la chute du prix du pétrole ne mette son propre pays à genoux.

Cette conférence de Munich n’est pas un café du commerce où les paroles ne comptent pas: c’est le lieu le plus important au monde, depuis plus de 50 ans, en matière de débat stratégique. Personne n’y parle à la légère. Et la semaine dernière, on y a entendu d’effrayants roulements de tambour, qui, s’ils étaient suivis d’effet, conduiraient le monde au pire dans les mois à venir.

L’humanité affronte pourtant des enjeux d’une gravité extrême, autrement plus réels que ces délires verbaux : la crise économique, sociale et financière, la crise écologique, les enfants qui meurent de faim, les femmes maltraitées, le terrorisme et tant d’autres. Pourquoi y rajouter un imbécile et injustifiable retour du conflit Est-Ouest ? Est-ce pour se prouver, encore une fois, de la plus détestable manière, que «c’était mieux avant » ?

Comme dans les tragédies grecques, on n’en est plus, ou presque, à savoir qui a commencé. Sont-ce les  Ukrainiens, en tentant de réduire le statut du russe comme langue nationale ? Les Russes, en intégrant la Crimée ? Les Américains, en organisant les sanctions ? Les Polonais, en mettant de l’huile sur le feu à chaque instant ? Les pays baltes, en mettant en avant tous les incidents de frontières plus ou moins imaginaires? Les Polonais de Bruxelles, et d’abord Donald Tusk, président de l’Union Européenne ? Les Polonais des Etats-Unis, et d’abord ceux de Chicago, deuxième ville polonaise du monde, et cité d’Obama ?

En tout cas, il est urgent d’arrêter cet engrenage tragique. Car le pire, depuis cette conférence de Munich, est devenu possible. Contre le désir des peuples. Alors qu’on pourrait tant faire ensemble, si on savait raison garder. Les Occidentaux et les Russes ont à mener la même bataille contre le terrorisme et la crise économique ; les Européens ont à construire ensemble un continent rassemblé, dans lequel chacun comprendrait qu’il a intérêt au succès de l’autre.

Pour y parvenir, il est nécessaire et urgent que tous les Européens, ceux de l’Ouest et ceux de l’Est, se rencontrent dans une grande conférence d’avenir, et dans un autre cadre que Munich. Pour élaborer, à froid et dans le calme, des projets et des stratégies communes, contre leurs ennemis communs.

Pourquoi pas à Paris? Pourquoi pas dans un mois ? Qui en prendra l’initiative ? Laissera-t-on passer cette occasion de retrouver raison ?