Choisir un modèle de réussite

Société

Dans chaque société, depuis l’aube des temps, chacun s’est vu assigné un modèle de réussite. Par son genre, par sa caste, par sa classe, par son état.

Dans chaque société, le modèle de réussite individuelle dominant structure la forme de cette société et le devenir de son mode de développement.

Dans chaque société, le modèle de réussite dominant a toujours été défini par la poursuite du pouvoir ou de l’argent ou de la renommée. Ou des trois. Chacun des trois visant en fait, à la recherche d’une certaine forme d’immortalité, qui constitue in fine le modèle suprême de réussite, dans toutes les sociétés, d’une façon ou d’une autre.

Pendant très longtemps, le pouvoir a permis d’avoir l’argent et la renommée. Puis, c’est l’argent qui donna accès au pouvoir et à la célébrité. Plus récemment, la célébrité a donné à certains, accès à l’argent et au pouvoir.

Dans chaque société, certains s’efforcent de sortir du modèle de réussite qui leur est assigné, de changer de classe, de caste, d’échapper au modèle auquel son genre ou son sexe le destine. D’autres encore, plus sérieusement encore, tentent non seulement de changer leur modèle de réussite propre, mais aussi celui de la société tout entière.

Dans le monde hindouiste, il fallait, pour réussir, être brahmane de naissance (ou par volonté, ce qui était théoriquement possible) ; on avait alors accès à tous les pouvoirs. L’argent suivait et parfois, la renommée.

Dans le monde romain, il fallait être patricien, c’est-à-dire propriétaire terrien, ou général ; ou les deux à la fois. Là encore, le pouvoir donnait accès à l’argent ; parfois aussi à la renommée.

Dans le monde féodal européen, cette élite idéalisée s’est structurée en seigneurie, avec des grades de noblesse parfaitement répertoriés ; ouvrant encore aux trois mêmes formes principales de réussite. Et chacun tentait, par mille chemins, de parvenir à y entrer : par l’armée ou par l’Eglise, qui l’une et l’autre pouvaient conduire à la noblesse, à l’argent, au pouvoir, à la renommée. Ainsi s’est structurée, par ce modèle de réussite, la forme féodale du développement.

Puis, dans les villes portuaires, est apparue une nouvelle élite, marchande, d’abord méprisée, écartée des cercles de pouvoir, puis devenant un nouveau modèle de réussite individuelle et créant à son tour un nouveau modèle de développement collectif.

Un peu plus tard, est apparu un modèle de réussite entrepreneuriale plus large : industriel, financier. Les revenus de ces puissants sont devenus plus fous encore, installant plus que jamais la fortune comme le modèle de réussite absolue ; et le capitalisme comme modèle de développement. Certains cherchaient à avoir aussi la renommée avec le pouvoir et l’argent ; d’autres cherchaient à fuir la célébrité pour mieux profiter de la richesse et du pouvoir. Tous accédaient au pouvoir par l’argent et non plus à l’argent par le pouvoir.

Pendant ce temps, d’autres métiers, antérieurement considérés comme ancillaires, sont, progressivement devenus des modèles de réussite : médecin, avocat, enseignant, chercheur, artiste, écrivain, comédien, chanteur, sportif.

Aujourd’hui encore, apparaissent de nouveaux modèles de réussite, qui mêlent encore argent, pouvoir et célébrité, cette fois sous la forme la plus vide : influenceur.

On ne pourra changer de modèle de développement économique, écologique et social que si on change de modèle de réussite individuel.

Les modèles de réussite individuelle associés à un modèle de développement durable existent. On les trouve exprimés par ceux pour qui réussir sa vie c’est d’abord être utile aux générations futures, non pas d’une façon théologique, ou comme une ruse pour obtenir un pouvoir immédiat, ou de l’argent ; mais d’une façon réellement désintéressée.

D’innombrables métiers sont associés à ce nouveau modèle de réussite. Ceux de la santé, de l’éducation, de la culture, de la démocratie, de l’économie durable. Plus généralement, tous les métiers de l’économie de la vie, et toutes les formes d’activité non marchande qui définissent la réussite par le plaisir d’être utile, sans autre intérêt que d’aider les autres. Ces métiers, ces activités, ces formes de réussite sont encore extrêmement minoritaires ; ils n’en constituent pas moins, par leur dynamique propre, un signal faible de l’évolution de nos sociétés vers un nouveau modèle de développement.

C’est seulement en les promouvant, en les valorisant, qu’on sortira du modèle mortifère de l’économie de la mort. Cela devrait être une des missions majeures de l’éducation.

j@attali.com

Image : Pexels.

 

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