Je ne crois pas une seconde au succès du Brexit, c’est-à-dire à la sortie de la Grande Bretagne de l’Union Européenne, à moins qu’elle n’ait des velléités suicidaires – ce qu’après tout on ne peut exclure : d’autres en ont eues. Bien sûr, les peuples ne répondent jamais, lors des referendums, à la question posée, mais selon leur opinion, au moment d’entrer dans l’isoloir, à propos de celui qui a posé la question. Or la popularité de David Cameron est en chute libre, comme celle de son parti.

Il ne faut donc pas s’étonner des sondages aujourd’hui incertains et des paris sur le départ de la Grande Bretagne, qui conduirait d’autres pays, tels les Pays Bas ou la France, à organiser des votes du même genre, aux résultats incertains: pourquoi, disent de plus en plus de gens, considérer notre appartenance à l’U. E. comme irréversible? Il faut en vérifier notre désir à intervalles réguliers. En suivant l’exemple anglais.

Si je ne crois absolument pas à ce scénario, ce n’est pas parce que les arguments économiques et politiques rationnels s’y opposent. De fait, le Brexit porterait un coup très sérieux à la City, qui représente une part très significative du PIB britannique, et couperait très largement les industries du plus vaste marché du monde. Enfin, un nombre très important d’étrangers, qui ont fait la fortune de la Grande Bretagne, la quitteraient pour venir s’installer à Francfort ou à Paris.

Si je ne crois pas au Brexit, c’est parce qu’il signerait la fin du Royaume Uni. L’Ecosse a déjà prévenu qu’elle n’accepterait pas de sortir de l’Europe et qu’elle organiserait immédiatement un référendum sur son indépendance, qui lui permettrait de réadhérer à l’Union. Et tout est déjà prêt, à Bruxelles, pour que ce processus ne dépasse pas six mois. Les Gallois, qui ont leur propre parlement, s’y préparent aussi. Et l’occasion serait trop belle pour les Irlandais de réunifier leur île.

Je n’imagine pas sa majesté, ni ses sujets, accepter de gaîté de cœur un tel suicide politique. Certes, le ressentiment contre Londres est grand en Ecosse, où les indépendantistes ne sont pas loin d’être majoritaires et, symétriquement, bien des Anglais ne voient plus de raison de supporter une Ecosse dont le pétrole s’épuise et dont les besoins en subventions augmentent. Ce sentiment d’hostilité et de mépris réciproques est fort ancien et remarquablement illustré dans la série télévisée Outlanders. De plus, la tendance à la partition et au retour des frontières les plus identitaires gagne du terrain à travers la planète : la brisure du Royaume Uni pourrait ainsi s’inscrire dans un certain sens de l’Histoire, celui de la fragmentation du monde, en réponse à sa globalisation.

Il n’empêche : je ne crois pas que le Royaume-Uni soit l’Union Soviétique, dont les peuples haïssaient le projet politique qui les avait unis, mais n’avait pas réussi à créer un « homo sovieticus » en 70 ans de dictature. Et l’élection comme maire de Londres d’un travailliste musulman d’origine pakistanaise est un signe supplémentaire de l’extraordinaire tolérance qui règne encore dans le creuset britannique.

Aussi, je suis convaincu que cet argument suffira à mettre fin aux frayeurs et au suspense que les médias entretiendront jusqu’au bout. Et si je me trompe, ce sera parce que, une fois de plus, un grand peuple aura décidé consciemment de se supprimer. Pour les autres Européens, ce serait une fort triste nouvelle. Même ceux qui se réjouiront un moment d’être enfin débarrassés d’un partenaire mal commode, dans toutes les négociations intra-communautaires, finiront par comprendre que le Brexit marquerait le début de la fin de l’Union. Une union terriblement impopulaire, puisque, pour la quitter, une nation aurait accepté de disparaître.