Pour avoir écrit ici le 4 février dernier (voir L’Express N•3318) qu’une nouvelle crise économique mondiale menaçait, et en avoir révélé les signes avant-coureurs, j’ai déclenché d’innombrables ricanements. L’analyse est encore plus vraie aujourd’hui : le monde s’approche d’une grande catastrophe économique. Et personne n’en parle.

Nul ne voit, en particulier, que ce qui se joue en Chine peut entraîner, par contagion, une dépression planétaire si nous n’agissons pas vite, de façon préventive. L’évolution chinoise était prévisible : sa croissance à 10% par an ne pouvait être durable et le ralentissement était inévitable. De plus, la Chine n’est plus compétitive, au cœur d’une Asie dont nombre de pays s’éveillent à leur tour. L’Empire du Milieu n’a pas su, comme l’ont fait les Etats-Unis et le Japon en leur temps, créer des firmes de taille internationale, avec des marques mondiales. La catastrophe de Tianjin aggrave cette menace dans des proportions considérables, paralysant une ville de 15 millions d’habitants, l’un des premiers lieux d’exportation et d’importation du pays, et rappelant, après d’autres événements du même genre, combien ce pays souffre des censures que lui imposent les exigences d’un parti unique.

Les conséquences de cette situation peuvent être désastreuses pour le régime. La récession a, en effet, entraîné une baisse de plus d’un tiers de la valeur de la Bourse, où les 200 millions de membres de la classe moyenne ont investi la moitié de leur épargne, mise en réserve pour financer les frais de santé et d’éducation familiaux, ainsi que leurs retraites, que l’Etat ne couvre pas. De plus, si la croissance continue de ralentir, c’est l’exode rural qui va s’essouffler, réduisant la demande de logements et menant l’immobilier à l’effondrement, ce qui détruira l’autre moitié de l’épargne de la classe moyenne. Et rien n’est plus dangereux, pour tout régime, que de ruiner sa classe moyenne, ossature de tout ordre social.

La manipulation du taux de change ne suffira pas à enrayer cette chute. Au contraire, même, elle peut l’aggraver en mettant la Chine en situation de dépendre du bon vouloir des spéculateurs internationaux, et en incitant d’autres pays à agir sur leur taux de change pour rétablir leur compétitivité.

Au total, la récession chinoise, si elle se confirme, entraînera celle du Brésil, qui provoquera celle des Etats-Unis puis la nôtre. Cette menace, aujourd’hui négligée, sera bientôt d’actualité. Au plus tard lors du G7 d’Istanbul, en septembre, les dirigeants occidentaux devront débattre d’un éventuel plan de relance. Seulement voilà : nos Etats ne disposent plus, comme en 2008, de marges de manœuvre budgétaires, et nos banques centrales n’ont plus la possibilité, comme en 2010, de diminuer leurs taux d’intérêt.

Alors, que reste-t-il pour relancer la croissance ? La solution la plus folle, la plus facile, serait d’imprimer encore plus de billets, comme on le fait déjà aux Etats-Unis, au Japon, en Grande-Bretagne et dans la zone euro. Cela finirait par ruiner les épargnants, c’est-à-dire les seniors, aujourd’hui grands vainqueurs d’un monde sans enfants, sans pour autant donner du travail et des perspectives de croissance aux plus jeunes.

Nous avons encore tous les moyens d’empêcher un tel scénario et, même, de ne pas se contenter d’une stagnation sans création d’emplois, qui semble pourtant être aujourd’hui la meilleure hypothèse. L’économie mondiale a les possibilités d’une très forte croissance, d’un genre nouveau, à condition de mettre en place des mécanismes de coordination, de réorientation et de surveillance planétaires ; de penser l’économie en fonction de l’intérêt des générations suivantes ; de lutter contre les rentes économiques, financières, sociales et politiques ; et de favoriser les innovations de toutes natures. Cela suppose de l’audace, de la confiance, de la transparence. Toutes choses que les politiques, quels que soient les régimes, détestent par-dessus tout.