La situation grecque, plus ubuesque chaque jour, par toutes ses dimensions, l’est devenue plus particulièrement depuis un an, par le rôle saugrenu et très négatif qu’y joue le Fonds Monétaire International.

Un observateur débarqué de la planète Mars cette semaine se demanderait avec stupéfaction comment les Européens ont-ils pu laisser trois économistes non européens, nommés on ne sait par qui, dépendant d’une institution à dominante américaine, décider du sort de l’euro !?

Car telle est bien la situation : depuis que, en 2010, on a laissé le FMI participer aux négociations de la dette grecque, sous prétexte qu’ils étaient un de ses créanciers, et surtout depuis qu’on s’est résigné à penser qu’ils pouvaient mieux que la Commission faire des prévisions économiques crédibles, la discussion sur la présence grecque dans la zone Euro a glissé peu à peu dans une dérive hallucinante :

D’abord, les dirigeants politiques de l’Eurogroupe ont laissé le FMI se glisser parmi les négociateurs, jusque-là uniquement venus de la Commission et de la Banque Centrale européenne, de l’ensemble de la dette grecque.

Ensuite, les mêmes dirigeants européens, au lieu d’assumer leurs responsabilités politiques, ont affirmé haut et fort qu’ils n’accepteraient aucun compromis qui ne serait négocié d’abord avec les trois institutions, formant ce qu’on nomma triomphalement « la troïka ». Au point même de refuser de parler avec les Grecs de sujets n’ayant pas l’aval de la troïka !

Ensuite encore, (même si le nouveau gouvernement grec a obtenu, dérisoire victoire, que la troïka change de nom pour devenir « les institutions »), les dirigeants de celles-ci se sont eux-mêmes défaussés de leurs responsabilité politique au profit de leurs experts, que personne n’ose plus déjuger et qui s’en donne à cœur joie, jugeant à leur guise, une situation grecque qui ne ressemble à aucun des modèles qu’ils ont étudié, dans les bonnes universités américaines ou japonaises.

Enfin, quand les experts européens ont fini par comprendre que ce n’est pas en détruisant les ultimes moyens de la croissance grecque qu’on réduirait leur dette, les soi-disant experts du FMI, ivres de leur pouvoir, ont continué à prétendre imposer des économies suicidaires à ce pays, sans voir qu’il ne pourra jamais rembourser une dette qu’il est urgent d’annuler officiellement. Soutenus en cela très largement par la majorité des actionnaires, asiatiques, africains et américains, de cette noble institution, qui n’ont rien à gagner à la voir être indulgente avec un pays européen.

La seule chose qu’on aurait pu espérer du FMI, dans cette débâcle, c’est que les Américains, dont il dépend plus que de personne, trouvent le moyen de leur expliquer l’importance géostratégique majeure de la stabilité grecque, et donc de son maintien dans la zone euro. Mais non, les Américains n’ont pas pu, ou pas voulu, faire plus que d’appeler les Grecs tous les jours pour leur demander de céder au diktat du FMI.

Au total, qu’elles soient les très grandes qualités de sa directrice générale, dont la réélection serait bienvenue du point de vue français, le FMI s’est trouvé mêlé, et s‘y trouve encore, dans une bataille où il n’a rien à faire. Et qui pourrait servir de détonateur à une nouvelle crise planétaire.

A un moment où les Asiatiques remettent en cause l’existence même des institutions de Bretton Woods, parce qu’on ne leur y fait pas leur juste place, il serait temps pour les Européens de s’interroger sur la pérennité d’une institution qui sera, si les circonstances tournent au pire, le vrai responsable du drame qui suivrait un défaut grec.

La solution, pourtant, est simple, et les Européens l’auraient sans doute appliquée depuis longtemps sans le terrorisme intellectuel des soit disant experts du FMI : un plan d’économies raisonnable, socialement juste, sans aide nouvelle, mais accompagnée d’une réduction de la dette grecque au-dessous de 100% du PIB, par annulation d’une part importante des dettes publiques, bilatérales et multilatérales, dont chacun sait qu’elles ne pourront pas être remboursées, mais qu’on continue à réclamer, pour sauver la face. Et pour cela, créer d’urgence un véritable Fonds Monétaire Européen, amorce d’un Trésor, et d’un ministère des Finances de l’eurozone.

Européens, réglez entre vous vos problèmes. Ne comptez que sur vos propres forces. Ne cédez à aucune pression ou mode de pensée venue de l’autre côté de l’Atlantique, ou du Pacifique. Donnez-vous un projet, et agissez.

Il n’est que trop temps de le faire.