Une des activités les plus menacées par le confinement est évidemment le spectacle vivant. A priori, il n’y aura, d’ici à septembre au moins, partout dans monde, très peu de concerts, de représentations théâtrales, d’opéras et de festivals. Même pas en plein air. Et même si certains se risquent à en organiser, avec des spectateurs distanciés, il est vraisemblable que le public ne trouvera aucun plaisir à prendre le risque d’y aller. Surtout pour celles de ces activités artistiques dont le public est relativement âgé. On ne peut pas l’accepter.

Et si, ce qui n’est malheureusement pas impossible, cela se prolongeait pendant l’hiver, aucun théâtre, aucun festival, aucune salle d’opéra, aucun orchestre ne survivrait ; sinon les maisons les plus officielles, financées par les villes et les Etats. En particulier, les plus jeunes musiciens, comédiens, régisseurs, metteurs en scène, photographes devraient alors se réorienter pour gagner leur vie. C’est toute la vie artistique du monde, dans sa partie la plus neuve, qui sombrerait irréversiblement. C’est inacceptable.

On ne peut évidemment s’y résoudre.

D’autant plus que, par une étrange ironie, si on se trouve dans une telle situation, c’est en raison d’un spectacle ; un tout autre spectacle : On dit trop souvent, à tort, que la dépression est due à une préférence de la vie sur l’économie ; et que c’est cette préférence qui a provoqué le confinement, et la crise qui en découle. En réalité, ce n’est pas une préférence pour la vie qui conduit, partout dans le monde, à choisir de se confiner mais la volonté de ne pas donner le spectacle de malades qu’on n’aurait pas le moyen de soigner. On fait donc en sorte que les malades en situation d’extrême urgence soient toujours moins nombreux que les lits de réanimation, (en y ajoutant ceux dont arrive à camoufler le spectacle de l’agonie dans des maisons de retraite, maisons de morts, sans soin ni compagnie).

C’est donc pour nous donner le spectacle d’une société capable de gérer la mort qu’on nous prive des spectacles capables de nous prouver que nous sommes encore vivants.

Peut-on faire mieux ? Peut on faire revivre le spectacle vivant ? Oui. Bien sûr.

D’abord, il faut se souvenir que la vie est toujours plus forte que la mort : L’histoire est pleine d’épidémies épouvantables, qui n’ont pas empêché d’écrire, et de donner à voir et à entendre d’immenses chefs d’œuvre. Les épidémies passent. Les chefs d’œuvres restent. Plus encore même : ce sont pendant des pandémies que sont nés quelques-uns des plus grands chefs d’œuvres.

Celle-là passera, comme les autres. Mystérieusement, comme certaines, parce que telle en décidera la nature. Ou rationnellement, comme d’autres, parce qu’on aura trouvé un vaccin et un médicament.

En attendant, il faut agir. Et il y a beaucoup à faire :

D’abord, il faut organiser au plus vite, dès cet été, le retour du spectacle vivant dans la distanciation. Et c’est possible ; Au plus vite. Il appartient à l’Etat d’en fixer les règles, comme il le fait pour les écoles, les chantiers ou les restaurants.

Ensuite, il faut prendre acte que l’art est omniprésent dans ce confinement : Chacun s’est remis à un instrument ou à réciter des poèmes. Les artistes, généreusement, jouent gratuitement pour leurs voisins ou pour d’innombrables causes. Et il n’est pas normal que les médias audiovisuels de toutes natures, (chaînes de télévisions ou plateformes) profitent de leurs spectateurs confinés, pour diffuser des œuvres sans que les artistes n’en reçoivent rien. Ou si peu. Il faut donc commencer par mettre ces médias à contribution. Massivement. Tout de suite. Pour augmenter la part des artistes vivants dans le chiffre d’affaires de ces médias.

Ensuite, si les nouvelles technologies permettent de faire des réunions virtuelles réservées aux collaborateurs d’une entreprise, on doit pouvoir organiser des concerts ou des représentations théâtrales virtuelles réservées à des spectateurs qui auront payé pour cela. Sans bouger de chez lui, un violoniste, ou un comédien doit pouvoir donner un récital à l’autre bout du monde, et être rémunéré pour cela. En jouant dans un théâtre vide, une troupe ou un orchestre doit pouvoir en faire autant. La distanciation sera une contrainte particulière de la mise en scène, rien de plus. Artistes, compagnies théâtrales, salles de concert, ont tous et toutes un rôle à jouer dans ce nouveau modèle. Ils le font aujourd’hui gratuitement, au bénéfice, si mérité, des soignants. Ils doivent le faire d’une façon rémunérée, pour survivre et vivre, pour le plus grand bonheur des spectateurs. Cela suppose l’utilisation de technologies disponibles, ou qui le seront bientôt.

Enfin, l’Etat et les collectivités territoriales auront leurs rôles à jouer. Pour financer la transition. Pour organiser le retour des spectacles vivants avec de nouvelles règles de distanciation. Pour imposer de nouvelles règles de partage des profits aux majors et aux médias. Pour fixer les règles de ces nouvelles représentations virtuelles.

Tout le raisonnement qui précède peut-être aussi étendu à l’art contemporain, qui peut trouver dans cette crise de nouveaux champs d’expression et d’exposition.

A chaque moment de l’histoire humaine, l’art, et plus spécialement la musique, ont été très en avance sur l’évolution du reste de la société. Il peut l’être encore.

j@attali.com