Raymond  Devos aimait à poser la question  de la différence entre une « bonne grippe » et  une « mauvaise grippe ». En agissant ainsi, comme toujours, il nous signalait l’importance de l’emploi des mots et de leur généalogie pour en comprendre le sens et pour définir  l’action qu’ils impliquent.

Ainsi, la  « grippe », dont on va tant parler,  est un mot d’origine franque (qui a donné aussi l’allemand greifen,  « saisir »)  venu,  au 14ème siècle   désigner une sorte de griffe, de harpon,  permettant d’accrocher quelle chose. Il  a  donné  les verbes « agripper » et « gripper », voulant  alors dire « empoigner » ou « freiner »,   qu’on n’utilise plus que pour dire qu’une machine ou un mécanisme « se grippe».

Par extension, la « grippe » désigne aussi, à la même époque, un « caprice », qui nous saisit au hasard, d’où  l’expression « prendre  quelqu’un en grippe » pour  signifier une subite et  imprévisible  aversion pour quelqu’un, comme si on l’attrapait au  collet sans raison. Ce n’est qu’au  18ème siècle  que cette expression vient désigner une maladie qui saisit brusquement le malade,  affection  qu’on désigne jusque-là, comme en italien, du nome de « influenza »,  qui vient du bas latin  influentiace qui coule », qui a donné le «  flux » en français et le  « flu », la « grippe » en anglais).

Toutes ses significations sont utiles pour réfléchir à la meilleure conduite à tenir  face à la grippe à venir.

D’abord, elles nous  rappellent qu’il ne faut pas nous laisser « agripper » par la maladie, d’où   l’importance   de l’explication, qui reste à donner au grand public, sur les symptômes et  sur   les  précautions à  prendre.

Ensuite, elles soulignent  qu’il ne faut pas laisser la machine humaine et sociale se « gripper » et donc qu’il faut s’assurer  que la société a de la redondance, de la résilience, une capacité à résister au choc. Autrement dit, qu’elle dispose de plusieurs moyens d’assurer les services essentiels,  comme la distribution des principaux « flux » d’eau, d’énergie, de nourriture, d’argent. Et de cela, nul n’est encore assuré. En France en particulier.

Elles nous disent encore qu’il ne faut pas la considérer comme un « caprice », une circonstance de hasard,  mais comme la conséquence d’une  évolution logique de nos sociétés, qui  , avec la mondialisation, ne pouvaient plus éviter ce genre de disfonctionnements,  dont la grippe à venir n’est qu’une   répétition pouvant   se transformer  un jour en   une maladie beaucoup plus grave, si nous ne mettons pas en place toutes une série de protections et d’indicateurs d’alerte.

Elles nous annoncent aussi   que de gens seront peut-être  « pris en grippe », à cause de la maladie,  si on en accuse tel ou tel groupe, comme le font ceux qui y voient la main des laboratoires pharmaceutiques pour vendre des médicaments et des vaccins , ou des gouvernements soucieux d’écarter les critiques portant sur leur gestion de la crise économique.

Elles signalent  enfin des transformations profondes à venir de nos sociétés, en révélant, comme en Nouvelle-Calédonie, la capacité d’une population  de se prendre en main, ou, comme ailleurs,  la façon dont on continue  de traiter telle ou telle catégorie de la population (comme les femmes qu’on veut renvoyer à la maison, pour s’occuper des enfants), ou enfin, comment  l’humanité devra prendre conscience de son unité, pour  qu’elle ne se prenne pas elle-même en grippe.