Une très intéressante expérience conduite par l’université d’Amman en Jordanie nous dit beaucoup sur les conditions  dans lesquelles une politique sociale peut être acceptée,  juste et efficace : elle montre qu’une meilleure  connaissance par les contribuables  de l’impact  de la redistribution  de leurs impôts les pousse à être beaucoup plus altruistes.

Pour l’instant,  en Jordanie comme dans la plupart des autres pays du Sud, l’essentiel de l’aide aux plus pauvres   passe  par des subventions visant à faire  baisser les prix des  produits de première nécessité (carburants et denrées alimentaires) ; mais ces subventions profitent en général plus aux riches qu’aux pauvres, qui n’ont pas les moyens d’acheter ces biens , même  à un prix subventionné.

L’expérience,  conduite dans le cadre d’un rapport pour la Banque Mondiale, sous le nom de Jordan Gives (« La Jordanie donne »), rassemblait  420 personnes, issues de classes moyennes, réparties par groupe de 20, dans des salles distinctes. Les participants ont reçu des coupons de   carburant  d’une valeur de dix dinars jordaniens, soit l’équivalent  du  salaire minimum quotidien du pays. On a donné alors le choix  à chaque groupe entre 5 options : garder ces coupons  ;  donner  20 dinars par famille aux  cinq familles les plus pauvres de leur groupe   ;  donner    un panier alimentaire d’une valeur de 20 dinars  à chacune de ces 5  familles ;   donner  20 dinars à chacune de ces 5 familles, à la condition qu’elles suivent intégralement un programme de formation professionnelle gratuit ; ou enfin donner  20 dinars à deux familles pauvres et  60 dinars à une école locale.

Certains groupes, dits « expérimentaux », ont reçu en plus des informations détaillées sur ce qu’une famille défavorisée pourrait s’offrir avec  20 dinars et ont été conviés à contrôler  la distribution aux familles pauvres de l’option retenue.

Au total, les deux tiers des participants ont  accepté de donner une partie de  leurs coupons de carburant pour financer une aide  aux plus pauvres de leurs groupes.

Les  groupes dits « expérimentaux » ont donné plus que les autres  et  ont préféré les transferts en espèces qu’en nature ; en particulier, les  jeunes ont été  particulièrement sensibles au fait de pouvoir contrôler le versement de l’aide. Les autres, considérablement moins altruistes, et plus méfiants, ont préféré les  transferts en nature.

Les résultats de cette économie expérimentale, qu’il faut considérer  avec prudence, sont très  éclairants. Ils  nous rappellent que, dans tout pays, la connaissance de l’impact réel  d’une action publique est la condition de son acceptation par les contribuables ;   et on oublie trop souvent l’importance de la pédagogie dans l’acceptation de l’impôt. L’exemple de la vie associative montre d’ailleurs que, quand les citoyens  sont réellement associés à l’action sociale, ils en supportent le poids bien plus facilement.

En France, en particulier,  où les impôts et charges sont si lourds, où les dépenses sociales sont si complexes et  ne profitent pas toujours  à ceux qui en ont le plus besoin, une simplification des mécanismes de transferts et  un meilleur contrôle des citoyens sur l’usage de ces ressources  rendraient ces politiques bien plus acceptables.   Cela passerait par une révolution profonde  de l’organisation  des administrations de collecte des recettes fiscales et sociales ; et par une simplification des structures de l’Etat, de la sécurité sociale et  des collectivités territoriales en charge de les distribuer. Sans une telle révolution,  la révolte des citoyens contre l’impôt est inévitable.

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