Parmi tous les facteurs qui pourraient déclencher la nouvelle crise économique mondiale, tant redoutée et si souvent annoncée, il en est un qu’on sous-estime à mon sens : la crise écologique. Si on la laisse se développer, elle pourrait en être l’élément déclencheur ou au moins provoquer un grand ralentissement de l’économie mondiale.

De trois façons :

D’abord directement, par l’impact des dérèglements climatiques, qui entraînent déjà dans de nombreux pays, une réduction de la production agricole, et industrielle, une baisse des revenus du tourisme, une croissance des coûts d’assurance.

Ensuite parce que le catastrophisme peut entraîner un repli sur soi, des antagonismes, une insécurité, une réduction de la consommation et de l’investissement.

Enfin parce qu’un comportement écologique qui se croirait vertueux, en réponse à ces menaces, aurait aussi, dans un premier temps au moins, des effets très négatifs sur la croissance et l’emploi : on achètera moins de voitures ; on remplacera moins souvent ses machines à laver, ses ordinateurs, ses téléphone mobiles et même ses vêtements. On voyagera beaucoup moins en avion ; plus généralement, on utilisera moins tout ce qui consomme de l’énergie, dont les produits d’importation et les réseaux sociaux. Si on ne fait que cela, cela entraînera assez vite une récession, créant du chômage, et déclenchant, là aussi, une crise planétaire.

De tous ces problèmes, on peut faire une solution. A condition de comprendre que ce n’est pas la croissance qui détruit l’environnement mais la production ; et qu’il ne faut pas consommer et produire moins mais autre chose.

Pour les dépenses privées, à la place de ce qu’on n’achètera moins, on achètera beaucoup plus de services de proximité, d’assistance personnelle, de distraction, de culture, d’éducation, de santé ; des vêtements fabriqués sur place, avec des tissus bruts ou peu transformés ; des biens dont les composants seront faciles à recycler et dont on recyclera tous les déchets. On fera plus de sport. On fréquentera plus, et tout au long de sa vie, des salles de classes, de concert, de théâtres et des stades. L’économie vivante redeviendra plus importante que l’économie virtuelle et matérielle.

En particulier, il faudra consacrer une part plus élevée de son pouvoir d’achat pour s’alimenter beaucoup mieux ; parce que s’alimenter sera enfin compris comme étant un élément essentiel de la santé de l’homme et de la nature. Pour cela, il faudra se nourrir, autant que possible, d’aliments produits localement et éliminer sucre et grignotage, pour faire de vrais repas, en prenant son temps. Cela conduira à l’augmentation du niveau de vie de ceux des paysans qui feront l’effort de produire sainement, et cela concourra à faire revenir vivre plus de citadins dans des territoires aujourd’hui délaissés. Pour le plus grand bénéfice de l’environnement et de la justice sociale.

Il faudra aussi faire de grands investissements publics et privés, pour réduire les mutations climatiques, pour mieux les supporter, et pour construire les équipements nécessaires à une économie plus positive : production de nouvelles sources d’énergie et de systèmes d’économie d’énergie, usines adaptées aux besoins nouveaux, voirie, logements, salles de classes, hôpitaux, salles de spectacle et de sports, équipements des territoires ; avec des matériaux nouveaux à élaborer. Il serait absurde de ne pas profiter des bas taux d’intérêt actuels et de ne pas les entreprendre au plus vite.

Au total, il faudra donc (quel que soit le gouvernement) consacrer une part beaucoup plus importante du revenu personnel et national à des dépenses socialisées, de recherche, d’éducation, de santé, d’insertion, de sécurité, d’infrastructure. Et il faudra, pour les financer, une fiscalité qui oriente la production et la consommation vers cette nouvelle économie, positive pour tous. Enfin, il faudra modifier d’innombrables règlements pour accélérer ces mutations, que les comportements individuels ne suffiront pas à réaliser à temps.

Car cette transition doit être faite dans l’urgence. Dans l’extrême urgence. Pour le plus grand profit de tous, et en particulier de celui des entreprises qui auront su entamer à temps la mutation nécessaire.

j@attali.com