Pour écouter cet article :

 

Un film récent très réussi (Don’t Look up) raconte ce qui se passerait si des dirigeants politiques américains se trouvaient confrontés à la menace imminente d’une météorite pouvant détruire la planète. Pour avoir travaillé longtemps sur ce sujet, et avoir lu bien des romans qui en traitent  (surtout les trois génialissimes romans chinois Lu Cixin connus en français sous le nom de Le Problème à trois corps), je sais que l’essentiel du scenario de ce film est invraisemblable : non seulement cette catastrophe est loin d’être la plus probable parmi celles qui menacent l’existence de la vie sur notre planète mais la réaction des autorités américaines à une telle comète mortelle, si elle apparaissait, un jour lointain, ne serait pas celle-là ; des groupes de travail préparent à l’ONU une réponse coordonnée à l’échelle internationale et un premier plan, né en Europe au début des années 2000, est  en train  d’être testé par la NASA et l’Agence Spatiale Européenne pour dévier un tel objet,  fruit des efforts d’une formidable équipe européenne et le soutien du programme Horizon2020 de l’Union Européenne.

Le plus intéressant dans ce film n’est pas non plus l’évidente métaphore des  autres  menaces qui pèsent sur notre survie, et en particulier sur notre environnement, et du refus de beaucoup de les regarder en face.

Pour moi, Don’t Look up est  surtout  une occasion de nous rappeler que nous sommes parfois comme le spectateur d’un film qui comprend que ces personnages sont en train de faire des choix qui vont les entrainer à la catastrophe, et qui voudrait réagir à leur place.

C’est aussi très souvent vrai dans la vie réelle : on voudrait empêcher tel ami ou amie de choisir, ou de rester, avec un compagnon ou une compagne dont on devine qu’il ou elle va faire son malheur. On voudrait empêcher tel ou tel de prendre une décision qui va ruiner sa carrière ou son entreprise ou sa santé. On voudrait empêcher ceux qu’on aime de se voiler la face, de nier la réalité, quand il est encore temps de la changer.

Seulement voilà : c’est quoi, la réalité que les autres nient ? Il est plus facile de savoir que l’autre se trompe quand on a accès à des données indiscutables, comme le spectateur d’un film, ou comme l’historien ; et  il est facile de dire  aujourd’hui  ce qu’il aurait  faire dans bien des situations passées ; mais ce savoir rétrospectif ne sert presque à rien : dans la réalité du temps présent, qui peut se prétendre  assez savant pour savoir mieux que les autres ce qui est bon pour eux ?

Et c’est pourtant le cœur de la vie sociale : il faut tenter de convaincre ceux dont on pense qu’ils vont commettre des erreurs qui vont leur nuire. Et surtout il faut leur imposer une conduite lorsque leur comportement influe sur la vie des autres. C’est la définition même d’une vie en société. Reste à savoir qui, et sur quelles bases, peut légitimement imposer à d’autres des inflexions de leurs conduites ? Dans les pays démocratiques, c’est le Parlement, sur la base des meilleures informations scientifiques dont il peut disposer, qui peut le faire ; sans denier la réalité, ni l’inventer.

On est loin de cet idéal de lucidité démocratique, dans beaucoup de pays, et sur beaucoup de sujets.

C’est là en particulier le mal qui frappe la France d’aujourd’hui : à moins de trois mois d’élections qui détermineront une large part de son sort, les candidats n’ont, pour la plupart, présenté aucune vision globale, aucun programme, aucun chiffrage de leurs propositions. Même si des efforts sont accomplis tous les jours par tous, le pays est confronté à des défis immenses : son industrie va très mal, son environnement se dégrade, son système éducatif ne répond plus aux besoins de demain, son système de santé est au bord de l’effondrement, ses dettes sont abyssales.

Et c’est sans doute parce que, inconsciemment,  beaucoup de Français savent que leur avenir est très inquiétant qu’ils préfèrent ne pas en parler. Comme un malade se sachant condamné qui ne veut pas entendre parler de sa mort prochaine.

Il est temps de se réveiller. Il est temps de regarder vers le haut. Il est temps de débattre en profondeur de visions d’avenir, de programmes, des projets, d’efforts à faire, de contraintes à imposer, de succès à construire.

j@attali.com