Selon leurs pères fondateurs, capitalisme et la démocratie ne pouvaient fonctionner sans respecter des règles morales fondées sur la loyauté et la transparence. Ils sont devenus l’un et l’autre des procédures vides de valeurs, vides de sens. L’obsession de la liberté individuelle a en effet conduit à la tyrannie du caprice, et au droit absolu de changer d’avis à chaque instant, sur tous les sujets, y compris sur le respect des contrats ; et donc, in fine, à l’apologie de la déloyauté.
On le voit aujourd’hui dans chaque dimension de nos sociétés : plus aucun contrat ne tient. Ni le contrat de travail. Ni le contrat sentimental. Ni le contrat social. Plus aucun pacte social n’est respecté. C’est le règne du chacun pour soi. Ici et maintenant. Plus personne n’a de raison d’être loyal avec les autres. Plus personne n’a de raison de participer à la vie collective. Chacun ne considère plus l’impôt que comme une façon d’aider les autres avec son argent ; et non pas d’être aidé avec l’argent des autres. La société se divise alors en deux catégories : ceux qui n’ont plus les moyens de payer l’impôt et ceux qui ont les moyens de ne pas payer l’impôt.
Et comme la morale vise à faire respecter par chacun les droits des autres, la déloyauté produit des sociétés dé-moralisées, au sens propre.
Or, la morale est la condition du moral : une société dé-moralisée est une société démoralisée. Nul ne peut en effet avoir le moral, c’est-à-dire l’envie d’avancer et de créer, si des principes élémentaires de loyauté des citoyens les uns avec les autres ne sont pas respectés.
C’est le cas en particulier de la France : elle travaille plus et plus longtemps ; mais elle ne se ressent plus comme une société morale ; elle ne considère plus que les riches ont des raisons de l’être. Elle les envie, mais ne les admire plus. Pour elle, le scandale n’est plus la pauvreté, mais la richesse. Elle en déduit que les règles de la vie en société méritent d’être piétinées.
Les affaires actuelles sont des péripéties de cette lourde évolution. Elles montrent que les riches gagnent des sommes incompréhensibles pour les autres Français. Et qu’ils sont capables de trouver les moyens de ne pas payer les impôts que les autres Français trouveraient juste qu’ils paient.
Cette dé-moralisation de la société conduit à sa démoralisation : Pourquoi faire des efforts pour travailler et créer quand la fortune ne sourit qu’aux plus riches, aux plus beaux, aux plus puissants, à leurs amis ou obligés ? Pourquoi étudier quand les Grandes Ecoles sont réservées aux enfants de leurs anciens élèves ? Pourquoi penser à l’avenir quand il appartient nécessairement à d’autres ?
Cette démoralisation de la France explique ainsi une bonne partie de sa perte de compétitivité, parce qu’elle explique l’essentiel de la lassitude générale, de cette sorte de grève implicite, de cette dissidence non déclarée qui caractérise les sociétés en déclin.
Pour la France, ce n’est vraiment pas le moment de perdre le moral. Cela ne ferait qu’accélérer la crise actuelle. Cela ne ferait que rendre le sursaut plus difficile. Il est donc urgent de restaurer la morale du pays. De restaurer la loyauté et la transparence des uns avec les autres. De là, tout découlera.