Samedi dernier, dans un des plus influents et des plus célèbres programmes de la télévision américaine, le Saturday Night Show, qui rassemble chaque semaine depuis 43 ans sur NBC plus de 7 millions de téléspectateurs, et qui a pris le parti, depuis des mois de combattre de front, Donald Trump, un des humoristes attitré de l’émission, Aziz Ansari, a conclu dix minutes brillantissimes en félicitant les millions de gens qui ont marché contre Trump, à travers l’Amérique, le jour de son inauguration : « Les changements les plus importants ne viennent pas des présidents, mais des foules en colère ». Et il terminait, en s’adressant aux marcheurs : « Si le jour de l’entrée en fonction de ce nouveau président a une quelconque signification, vous faites partie de la plus grande foule en colère que je n’ai jamais vu. Bonne chance ».

Tel est, à mon avis, au-delà même des Etats-Unis, une des grandes caractéristiques de la dynamique historique de 2017 : les peuples bousculeront avec rage ceux qui les dirigent, lorsqu’ils ne les considéreront pas comme légitimes ou efficaces. Aux Etats-Unis, la majorité du peuple, qui a voté contre le nouveau Président, le considère comme illégitime. En Europe, des majorités de plus en plus nombreuses considèrent leurs gouvernants comme inefficaces.

Dans les deux cas, les peuples, de mieux en mieux formés, de plus en plus actifs sur les réseaux sociaux, dans des associations et des élections primaires, entendent contrôler l’action des gouvernants par des méthodes de plus en plus pressantes et même brutales, lorsqu’ils sont en colère.

Et la colère grandit, dans toutes les démocraties. Parce que l’économie est plus puissante que la politique.

En Europe, la colère se manifestera d’abord dans les urnes, et se traduira, en France, en Allemagne, aux Pays Bas, en Italie, par l’élimination générale des sortants et des représentants officiels des partis classiques. Quand le jeu des alliances, ou des procédures de vote, réussiront à l’empêcher, la colère des électeurs se manifestera hors des urnes, par des grondements, des manifestations, des révoltes ; des minorités, ou même des majorités, en colère, rejetteront les résultats des urnes ; et si les plus faibles élisent, comme ils viennent de le faire aux Etats-Unis, le candidat des puissants, c’est la démocratie elle-même qui sera remise en cause.

Il est donc essentiel, pour tous les partis politiques attachés à la démocratie de présenter, à toutes les élections à venir, des candidats nouveaux, avec des programmes ambitieux, s’inscrivant dans une vision longue, et reliant les grands choix géopolitiques et les questions concernant directement les électeurs.

Si les partis démocratiques ne sont pas capables d’engager ce renouvellement massif de leurs cadres et de leurs projets ils seront balayés ; des foules en colère viendront chasser du pouvoir les vieilles élites.

2017 est le moment de vérité : une révolution virtuelle, aussi violente qu’une révolution sanguinaire, est la condition de la survie de la démocratie. Elle ne doit pas se limiter à un changement du personnel politique ; elle doit s’accompagner d’une véritable transformation des rapports de pouvoir. Si elle n’est pas bien menée, elle conduira, comme après bien des révolutions, au retour des mêmes au pouvoir, après une période barbare. Si elle est organisée lucidement, elle pourra faire naître des pays nouveaux, libres de leurs angoisses et de leurs fantasmes, ouverts à la jeunesse, source de prospérité.