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En cette fin de campagne présidentielle, les critiques fusent de partout pour dénoncer  l’absence de débat sérieux entre tous les candidats ; et  presque tout le monde s’accorde pour en tenir pour  responsable le président candidat. Au point même, pour certains, de remettre en cause la légitimité de son éventuelle réélection.

De fait, il est exact qu’Emmanuel Macron s’est déclaré très  tard, qu’il n’a fait connaitre son programme que trois semaines avant le premier tour, et qu’il ne prévoit de faire qu’un seul véritable meeting avant ce même rendez-vous ; tout semble donner à penser que le Président  a le plus grand mal à endosser les habits du candidat.

Pour autant, cette accusation est assez injuste : d’abord parce que l’actuel président n’a pas retardé sa candidature plus que ses prédécesseurs ; ensuite parce qu’il s’est trouvé pris dans une crise internationale d’une gravité extrême qui ne pouvait que monopoliser son attention, dans l’intérêt du pays ; enfin parce que toute la classe politique, et médiatique, porte aussi une très  large part de la responsabilité de ce fiasco démocratique : tous auraient pu, en effet, depuis un an au moins, se mettre en ordre de bataille, proposer des programmes et débattre entre eux, et avec le Président dont la candidature était déjà certaine, de son bilan, et de leurs projets et du sien, car Emmanuel Macron n’a jamais été avare de présenter des projets à long terme. Ils auraient pu même, (et ils pourraient encore) préparer les prochaines élections législatives  prévues pour le mois de juin ; or, aucun parti n’a proposé un programme législatif. Pour dire vrai, on ne sait même pas si les partis d’aujourd’hui existeront encore en juin… C’est pourtant, par l’élection du Parlement que se jouera la véritable capacité de réformer, ou pas, le pays.

Ceci n’est pas nouveau. C’est même le résultat d’une longue évolution, qui a commencé depuis au moins 1995, sinon même 1988 : pendant  toutes ces campagnes présidentielles et législatives, on n’a vu que des oppositions plus ou moins brutales de personnes, des petites phrases, des  projets de réformes minuscules, et très peu de débats de fond. Aussi, après son élection, l’élu présidentiel s’est trouvé à court d’imagination et n’a pu accomplir que de modestes réformes.

À chaque fois, et maintenant de nouveau, tout se passe comme si le pays craignait tellement son avenir qu’il n’osait  pas en parler. Comme si la nation faisait collectivement un déni de réalité devant ce qui menace son existence même ; comme le font ceux,  si nombreux, qui refusent  de voir ce qui menace leur propre vie et refusent de consulter un médecin.

Et pourtant, que d’enjeux vitaux, depuis longtemps.  Et que d’enjeux nouveaux apparus depuis deux ans !

Ceux de la santé d’abord, quand la pandémie actuelle nous a démontré que notre système hospitalier était, et est encore, en pleine déroute. Ceux de l’éducation ensuite,  dont on comprend maintenant que notre système est en train de devenir un des plus mauvais du monde développé. Et, plus récemment, encore, ceux de la défense, dont nous étions si fiers : Que se passerait-il si nous étions attaqués comme le sont les Ukrainiens ? Avons-nous les missiles antimissiles pour protéger nos villes ? Non. Avons-nous assez de drones pour observer et faire reculer une armée offensive ? Non. Avons-nous assez de moyens de défense digitale ? Evidemment non. Et si un  autre président américain arrivait à la Maison Blanche, et se retirait de l’OTAN, pourrions-nous défendre l’Europe ? Evidemment non. Enfin, avons la même volonté que les Ukrainiens  de risquer nos vies pour défendre notre mode de vie ?

De tout cela les candidats ne nous parlent pas. S’ils nous expliquent en détails ce qu’il faudrait faire pour régler des problèmes certes  importants, (ceux du pouvoir d’achat en particulier)  ils ne nous parlent jamais de l’essentiel. Parce qu’aucun n’a, pour l’instant,  le courage de dire au pays  qu’il est vulnérable à toutes les menaces du monde, qu’il ne doit plus se contenter d’être un passager clandestin du projet européen et de la globalisation, qu’il doit passer au plus vite en économie de guerre pour se donner les moyens de construire une économie de la vie. Le pays est prêt à entendre la nécessité de faire beaucoup d’efforts, s’ils sont justement répartis. Il n’y a que les candidats qui ne le savent pas.

j@attali.com