La France est un étrange pays. Elle sait, depuis au moins mille ans,  qu’elle est inondable. Elle en a fait l’expérience à de très nombreuses reprises dans son histoire, parfois de façon dramatique. Et pourtant,  à chaque fois que la menace a semblé s’être éloignée, elle a baissé la garde ;  elle n’a plus été  aux aguets, et elle ne s’est pas préparé  à l’affronter de nouveau, en agissant sur  ses causes profondes  qui  sont   la misère et l’ignorance.
En France, l’Histoire nous apprend  en effet qu’un habitant sur quatre au moins est, depuis mille ans, exposé au risque d’être victime d’inondation. Et cela reste vrai aujourd’hui parce que ce pays n’a pas de mémoire et n’a aucune conscience du danger qui le guette. Il est toujours surpris  quand l’inondation se déclenche. De fait, la  France a été plutôt épargnée au 20ème siècle, comparé à certains voisins, et elle a oublié de se prémunir et de se préparer à affronter ces dangers.  Trois leçons doivent en être tirées :
1/ C’est en se souvenant des drames vécus qu’on réussit à les éviter. C’est par la mémoire qu’on fait face.  Comment convaincre du danger ceux qui n’en ont jamais été victime ? Là où les inondations ont été particulièrement violentes dans le passé, les gens sont mieux formés et préparés. Ailleurs, on prétend que le risque n’existe pas, on a l’illusion d’être à l’abri du danger.
2/ C’est en créant les conditions pour les éviter qu’on les éloigne le plus durablement. Les plus pauvres, et les moins informés   sont les premiers menacés de l’inondation. C’est donc contre la pauvreté, et l’ignorance qu’il faut d’abord lutter.
3/ Nous vivons sous le règne de l’éphémère, de l’instant et de  l’amnésie. Rien n’est plus dangereux pour une civilisation, et pour une démocratie, que de ne pas se souvenir de ce qui l’a menacée, et de ce qui l’a  protégée.
Chaque collectivité doit  donc former ses agents aux dangers des inondations, pour les y préparer. Elle doit   aussi développer une culture du risque,  une « mémoire des catastrophes », selon le si juste expression de Serge Tisseron. Elle doit aussi  mettre en place les politiques  structurelles, pour éviter  ce genre de manifestation paroxystique d’un déséquilibre.
  On aura peut être déjà compris que cette perspective reste vraie, mot pour mot,  si on remplace la menace de l’eau par celle, tout aussi actuelle,  de l’antijudaïsme, de  l’antisémitisme et  du racisme.
La France est un étrange pays. Elle sait, depuis au moins mille ans,  qu’elle peut être parcourue par une vague de racisme.  Elle en a fait l’expérience à de très nombreuses reprises dans son histoire, parfois de façon dramatique. Et pourtant,  à chaque fois que la menace a semblé s’être éloignée, elle a  baissé la garde, elle  n’a plus été  aux aguets, ne s’est pas  préparée pas à l’affronter de nouveau en agissant sur  ses causes profondes  qui  sont   la misère et l’ignorance.     Aujourd’hui, un habitant  de ce pays sur quatre, au moins, a des origines étrangères. Et  pourtant des  forces  maléfiques sont  de nouveau à l’œuvre qui peut inonder le pays de leur boue meurtrière. On ne peut les écarter qu’en gardant très vif le souvenir des épisodes honteux précédents, en étant aux aguets devant toutes les résurgences, et en   agissant sur leurs causes profondes  qui restent l’ignorance et la misère.     
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