Depuis le 7 octobre, le monde a observé, stupéfait, (pour la dénoncer ou, pour s’en réjouir), la monstrueuse barbarie des terroristes du Hamas, leur plaisir évident de torturer, violer, assassiner des femmes et des enfants, et la réaction impitoyable d’un gouvernement israélien qui, pour en finir avec un mouvement terroriste qu’il a longtemps favorisé, tombe dans le piège tendu par ce mouvement et tue un grand nombre de femmes et d’enfants palestiniens.

Pendant cette même période, bien d’autres événements majeurs se produisaient ailleurs : l’accélération de la colonisation israélienne en Cisjordanie, la poursuite de combats extrêmement meurtriers en Ukraine, des guerres civiles épouvantables au Soudan et en République démocratique du Congo, l’expulsion dramatique vers leur pays, qu’ils avaient fuit, de plus d’un million et demi d’Afghans, et tant d’autres drames à travers le monde. Par ailleurs, parmi de très nombreux signes, ce mois-ci, de l’aggravation de la situation de l’environnement, la température ressentie à Rio de Janeiro le 14 novembre 2023 : 58 degrés.

Et aussi, dans d’autres domaines, des choses essentielles, aux conséquences vertigineuses pour l’humanité :

D’une part, l’annonce cette semaine, par des équipes chinoises, de la naissance, (il y a plus de deux ans) d’un macaque hybridé par un certain nombre de cellules souches d’un autre macaque, ouvrant à la production de modèles pour l’étude de maladies humaines, et même à des greffes d’organes humains développés chez d’autres primates.

D’autre part, c’est dans le domaine de l’intelligence artificielle (IA) que le mois écoulé a été le plus extraordinaire : non seulement parce que ces technologies ont été utilisées dans tous les conflits du monde, mais parce que de nombreux projets nouveaux ont été annoncés : Open AI a ouvert une nouvelle version de ChatGPT (GPT-4 Turbo), avec des modifications stupéfiantes permettant de développer de nouvelles applications offrant des moyens révolutionnaires de création d’images (DALL·E 3), et de textes (STT), à partir d’un discours oral et réciproquement. OpenAI a aussi fait savoir qu’il travaille sur son propre Iphone, qui sera capable d’interagir avec ChatGPT.

Apple n’en est pas en reste en annonçant qu’il allait installer son propre équivalent de ChatGPT sur ses Iphone. Samsung a lancé son propre modèle d’IA (Samsung Gauss), qui sera inclus en janvier 2024 dans son nouveau téléphone : le Galaxy S24. Google a lancé de nouveaux outils d’IA, à partir de son Google Bard, pour les annonceurs et les agences de publicité. Amazon a fait savoir qu’il se préparait à lancer son propre chatbot IA Olympus, rival de Google Bard et de ChatGPT, avec 2000 milliards de paramètres, soit le double de GPT4. Mistral, la startup en IA française, commence à déployer son modèle en Open Source, en particulier sur Azure. Enfin, Meta et RayBan ont lancé une nouvelle version de leurs lunettes, en y intégrant une caméra de 12 pixels, et un assistant d’IA, qui devrait permettre, dès début 2024, d’identifier, des lieux, des végétaux, des animaux et des personnes.

Pendant ce même mois, Google a investi massivement dans Character.AI, une application qui permet de dialoguer avec des personnages de fiction ou des gens célèbres, par le bien d’une IA ; et Thomson Reuters a acquis une extraordinaire application d’IA pour les questions juridiques, Casetext, et a lancé un vaste programme de formation à l’IA de ses 26.000 collaborateurs.

Toujours depuis début octobre, alors que les principales entreprises du secteur (Anthropic, Google, Microsoft, et OpenAI) annonçaient le lancement entre elles, du “Frontier Model Forum”, pour s’autoréguler, et tout faire pour arrêter tout ce qui est en Open Source, les gouvernements tentaient de mettre en place une gouvernance publique : on a vu se tenir, à Bletchley Park, dans le Buckinghamshire, le premier sommet mondial sur la menace existentielle que l’IA fait peser sur l’humanité. Il a abouti à une déclaration signée par tous les pays présents, (dont les États-Unis, la Chine, la Grande-Bretagne, l’Inde et le Brésil) ainsi que par l’Union européenne, promettant d’utiliser l’IA pour protéger les droits humains et atteindre les objectifs du développement durable fixés par les Nations Unies ; annonçant la création prochaine d’un  “International Panel on AI Safety” (IPAIS), sur le modèle du IPCC pour le climat, qui sera chargé d’évaluer régulièrement les risques que l’IA fait courir à l’humanité ; et enfin, en annonçant le début d’une négociation en vue d’une réglementation mondiale sur le sujet. Au même moment, aux États-Unis, un “executive order” du Président obligeait toutes les entreprises du secteur à faire connaître au gouvernement américain tout nouveau projet d’IA, avant de les publier ou de les commercialiser, s’ils risquent de menacer la liberté des citoyens, des consommateurs ou des travailleurs ainsi que la souveraineté américaine. Fin octobre, les membres du G7, réunis au Japon, ont publié des principes d’action sur le même sujet. Enfin, les Nations Unies viennent d’annoncer la création un Comité consultatif spécifique, pour en traiter.

Ainsi va le monde, fait de barbarie moyenâgeuse et de science-fiction potentiellement salvatrice. Saura-t-on dépasser l’une et mettre l’autre au service du Bien… ?

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