Chacun connait maintenant la situation du Pakistan, devenu catastrophique à la suite des plus graves inondations de ces 80 dernières années : des milliers de morts, au moins 20 millions de personnes, soit le dixième de la population sans abri et plus de six millions sans eau potable et sans nourriture. De plus, ces inondations ne sont pas terminées : on annonce de nouveaux orages dans le Nord-Ouest et au Pendjab, dans certaines régions du Nord et du Cachemire ; les fleuves pourraient de nouveau déborder.
Les risques à venir sont donc immenses : à la faim et à la soif s’ajoutera le choléra qui pourrait toucher des centaines de milliers de personnes. Pour faire face à cette urgence, l’ONU évalue déjà les besoins les plus immédiats en nourriture, eau et médicaments à 460 M$.
Pour gérer cette tragédie, le pays est dans une situation politique et administrative catastrophique : même s’il dispose d’une élite très sophistiquée, d’une industrie de pointe, de chercheurs d’exception, il est aussi le 141ème pays en terme de développement humain, et son président n’a comme principale qualité que d’être le veuf de la courageuse fille d’un dirigeant charismatique pendu par un précédent dictateur.
De plus, ce n’est pas un pays comme les autres : seul pays musulman disposant de l’arme nucléaire, il est absolument essentiel à la paix du monde, au point que, dans son analyse du « Choc des Civilisations », Samuel Huntington faisait d’une éventuelle alliance entre le Pakistan et la Chine le pire événement qui puisse menacer l’Occident.
Aujourd’hui, face à cette tragédie, comme toujours en cas de catastrophe, l’aide vient d’abord de mouvements qui y trouvent un intérêt politique ; ainsi, la Jamaat-ud-Dawa, bras politique du Laskhar-e-Taiba, soupçonné d’avoir perpétré les attentats de la fin 2008 à Bombay, a installé un camp qui vient efficacement en aide à plus de 250 000 personnes. Et leur apport est évidemment plus que bienvenu. Le soutien vient ensuite des Etats-Unis, qui ont promis 55 M$ de plus que ce qu’ils déversent déjà sur le pays.
L’Europe, elle, est invisible, inexistante ; elle ne semble pas voir que son sort se joue aussi au Pakistan, au bord du fleuve qui vit reculer Alexandre le Grand. Bruxelles vient seulement d’annoncer une aide de 10 M$ , ajoutant dans cette maigre comptabilité 30 M$, en fait détournés de ce qui était déjà prévu pour aider les personnes déplacées à la suite des conflits afghan et kashmiri.
Personne même ne parle en son nom sur ce sujet. Ni les pays-membres, individuellement. Ni l’Europe en tant que telle : où sont le président du Conseil, le président de la Commission, la ministre des Affaires Etrangères, la commissaire au développement, le directeur général du Service d’aide humanitaire et de protection civile, le directeur général d’EuropAid ? Au moins l’un d’entre eux devrait s’être précipité au Pakistan dès les premiers jours de la tragédie. Aucun ne l’a fait. Seules les ONG européennes sauvent l’honneur d’un continent qui semble avoir abandonné tout espoir de jouer un rôle politique dans le monde. Il le paiera très cher.