Rien n’était plus attendu que la révolution de jasmin. Rien n’était moins prévisible que la date de son déclenchement.

Tout le monde sait, en effet, au moins depuis 20 ans, que la démocratie est en marche dans le monde entier. Non par le jeu du politique, mais par l’économie de marché. Au moins en théorie : on sait en effet, au moins depuis l’analyse de l’histoire anglaise par Karl Marx, que le marché crée les conditions de la naissance de la démocratie. Parce qu’il crée une bourgeoisie, qui a besoin de sécurité juridique et de liberté d’innovations. Sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres, la théorie de l’auteur du Capital s’est révélée vraie. D’abord en Europe de l’Ouest, puis de l’Est, puis en Russie, en Amérique du Sud, dans une partie de l’Afrique et de l’Asie.

Une grande partie de l’Afrique et de l’Asie, et la quasi-totalité du monde arabe restaient jusqu’aujourd’hui privés des premières bases de la démocratie. Certains pseudos experts, traumatisés par la révolution détournée en Iran, le massacre de la place Tien an Men et les difficultés birmanes, allaient jusqu’à soutenir que la dictature est l’avenir. Et que la démocratie reculerait bientôt partout devant le fondamentalisme religieux.

Ce qui vient de se passer en Tunisie démontre au contraire que la démonstration de Marx reste valable : la Tunisie devenue une économie de marché ne pouvait que devenir une démocratie. Et après elle, ce sera le cas de l’Egypte, du Vietnam, de la Chine, de l’Afrique Sud Saharienne et bien plus tard, parce que l’économie de marché y est balbutiante, de l’Algérie et de la Syrie.

Cependant, Marx ne pouvait prévoir ni le moment, ni la tactique. Même s’il avait réfléchi, à partir du cas de la Commune de Paris, sur la façon dont une révolution peut avorter ou déraper dans une dictature.

La France est particulièrement concerné par ce débat, parce que ces pays incertains sont, pour beaucoup d’entre eux, d’anciennes colonies et francophones.

D’abord, il lui faut évaluer les conditions de succès de la révolution. De fait, pour qu’une révolution se transforme en une réelle démocratie, elle doit réunir cinq conditions : 1. Une bourgeoisie formée et puissante 2. Une armée laïque 3. Une jeunesse n’ayant rien à perdre. 4. L’absence d’un leader populiste charismatique. 5. Un environnement international favorable.

Lorsque le succès est possible, la France doit savoir accompagner ces changements. Et pour cela, elle doit dire, haut et fort, que la démocratie et le seul système tolérable ; qu’un leader ne peut rester vingt ans au pouvoir. Qu’il ne peut pas réserver sa succession à son fils. Elle doit dire enfin qu’elle est l’amie d’une nation, et non d’un président. Même si cela peut nuire, brièvement, aux intérêts de ses entreprises.

Enfin, pour bien comprendre ce qui se joue dans chacun de ces pays, la France doit utiliser les formidables réseaux que représentent ici les diverses communautés d’immigrés (ils en savent beaucoup plus que les diplomates français sur ce qui passe dans leur pays d’origine) et à l’étranger les considérables communautés de Français (ils en savent, eux aussi, plus que les diplomates sur ce qui se déroule dans leur pays de résidence).

Espérons qu’on n’oubliera pas ces leçons avant la prochaine révolution, celles des bougainvilliers ou du roseau.