L’histoire nous apprend qu’une société qui fonde sa survie sur la force et sur l’exploitation de ses voisins est condamnée à disparaître : les formidables troupes de Sparte ne furent pas mises en déroute, au  5ème siècle avant notre ère, par les armées d’Athènes, mais par sa propre société rongée de l’intérieur par la tyrannie imposée à sa jeunesse et par l’oppression des hilotes – ce peuple voisin auquel Sparte ne reconnaissait aucun droit. De même, la formidable puissance espagnole ne fut pas gangrénée puis défaite, au 17ème siècle, par ses rivaux hollandais et britanniques, mais par le pillage des richesses des Amériques et le génocide des Indiens. Et aussi : la puissance de la Grande-Bretagne commença à décliner, au début du 20ème siècle, quand elle chercha, par l’exploitation des richesses de l’Inde, à protéger un système de castes sociales totalement sclérosé.

Plus généralement, une société qui considère les autres comme étant d’une valeur inférieure à la sienne, court à sa propre perte. Une société extractive ne peut durer ; une société inclusive le peut.

Le même sort menace aujourd’hui plusieurs nations, dont l’État d’Israël.

Pour avoir été, dès 1967, hostile au maintien de Tsahal dans les territoires conquis, à quelques rectifications de frontières près, j’ai toujours pensé que l’État hébreu était celui qui avait le plus à perdre géopolitiquement, culturellement, économiquement et surtout moralement, en se plaçant dans la position de l’occupant. J’ai toujours pensé aussi qu’on pouvait être à la fois sioniste et propalestinien. À condition de distinguer le sionisme, c’est-à-dire le droit irréfragable d’Israël à exister, du « Bibisme », c’est-à-dire une politique de colonisation, qui nie le droit plein et entier des Palestiniens à un État, qui nourrit l’antisionisme et l’antisémitisme et qui ne sert qu’à protéger Benjamin Netanyahou (que je considère depuis le premier jour comme un criminel de guerre) de la prison où il mériterait de se trouver depuis longtemps pour corruption financière, morale, et politique. Si possible dans la même prison que les abominables dirigeants du Hamas, qu’il faudra bien juger au plus tôt pour crimes contre l’humanité.

Halte au feu ! Les amis d’Israël doivent le demander ; les Israéliens doivent avoir le courage de le décider.

Si on peut comprendre la colère du peuple israélien quand des barbares terroristes sont venus sur le sol indiscuté de l’État hébreu pour y violer, assassiner, torturer, enlever des femmes, des enfants, et beaucoup de militants acharnés de la paix et de la cohabitation, j’ai tout de suite dit et écrit qu’Israël, par des représailles aveugles, ne faisait que tomber dans le piège de ses pires ennemis et que tout cela allait retourner l’opinion mondiale contre lui. Et ce, même si le Hamas est entièrement responsable du déclenchement de cette guerre par l’abomination du 7 octobre et de sa poursuite par son refus de libérer ses otages.

Ce qui se passe à Gaza est injustifiable. Rien ne justifie que 5% de la population de cette enclave ait sans doute été tué ou blessé ; et il ne suffit plus de dire que ces morts ne sont que les victimes collatérales d’un conflit dont ils ne sont pas responsables. De fait, les plus extrémistes des Israéliens ne l’acceptent ou même ne s’en réjouissent, que parce qu’ils sont conditionnés depuis 50 ans, comme les Spartiates, les Espagnols ou les Anglais en leur temps, à considérer leurs voisins comme des inférieurs ne méritant pas les mêmes droits qu’eux.

Aujourd’hui, la preuve est faite que ces bombardements n’apportent pas la réponse à la question posée par le terrorisme palestinien, que le Hamas ne sera pas détruit ainsi, qu’il gagne au contraire des galons immérités de « résistants » à Gaza, en Cisjordanie, et ailleurs dans le monde ; alors que ce n’est qu’un mouvement terroriste, désireux d’assassiner tous les juifs (en tant que juifs et pas en tant qu’Israéliens) et n’attachant aucune valeur à la survie de leur propre peuple. La bonne stratégie aurait du être celle qu’avaient employée des dirigeants israéliens mieux inspirés après le massacre des Jeux Olympiques de Munich en 1972 : cibler l’un après l’autre tous les auteurs de ces crimes.

Halte au feu ! Bombarder Rafah serait criminel et inutile.

Une fois établi le silence des armes, on pourra mettre autour de la table des gens honnêtes et de bonne volonté des deux camps, capables de comprendre qu’aucun des deux n’a intérêt à la disparition de l’autre, et que l’avenir de la région peut être magnifique si chacun fait des concessions. Et si, leur folie de meurtre et de vengeance ne peut être arrêtée, alors la communauté internationale, ou plutôt les plus sages des puissances régionales et mondiales, devront le leur imposer.

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Image : la ville de Khan Younis après un bombardement israélien le 14 février 2024. © Said Khatib, AFP.