Au moment où on célèbre le 20ème anniversaire des accords d’Oslo, (qui  avaient  laissé  espérer qu’une  négociation directe entre Israéliens et Palestiniens pouvait  conduire à la création d’un Etat palestinien viable, et à la reconnaissance d’Israël  par les pays arabes, dans des frontières sures), la négociation qui reprend  aujourd’hui entre un gouvernement d’Israël plus radical que jamais, et un gouvernement palestinien, plus faible que jamais,  semble vouée, une nouvelle fois   à l’échec, dans ce Moyen-Orient en feu,  où règne la guerre civile chez tous les voisins d’Israël, sauf en Jordanie.

Pour les uns  comme  les autres, la poursuite éternelle de la négociation est bienvenue, parce qu’elle donne à chaque gouvernement, chaque élite,  une légitimité. Mais ce n’est pas durable et le statu quo est impossible : bien des Palestiniens  quittent leur terre ou se radicalisent, pendant que bien des Israéliens ont l’illusion de croire qu’en installant des colonies un peu partout, (avec déjà plus d’un demi-million d’Israéliens vivant au-delà  de la Ligne verte de 1967), ils rendront impossible la création d’un état palestinien, et feront  même, pour certains, d’Israël une théocratie,  où seuls les juifs  auraient droit à la citoyenneté.

Pour les uns, la tentation du messianisme devient de plus en plus forte. Pour les autres, c’est celle    du radicalisme ; car, en rendant impossible la création d’un Etat palestinien viable, les Israéliens conduiront  peu à peu les Palestiniens à revenir à leur  revendication  de 1947 : deux peuples dans un seul Etat.

A la fin du dernier Ramadan, Israël à élégamment ouvert   ses frontières à des  habitants de Cisjordanie, qui se sont précipités par milliers  sur les plages israéliennes ; sans le moindre incident. Certains Israéliens y ont vu l’amorce d’une  véritable coexistence pacifique. Mais, pour beaucoup de Palestiniens, cela a,  au contraire,  conforté une vieille théorie selon laquelle ils n’ont pas nécessairement  besoin d’un Etat autonome, et qu’il leur suffit  de devenir majoritaires dans celui qui les marginalise.

Depuis peu,  la population palestinienne, si on lui ajoute celle des Arabes israéliens, est  plus nombreuse que celle des juifs israéliens (6,1 sur 12 millions).   Le déséquilibre ne fera que s’aggraver. Les  Israéliens n’auront un jour plus qu’un seul destin : celui de se faire dominer  démographiquement, puis  militairement, dans un Etat unique, qui sera, au mieux, laïc et multiconfessionnel ; au pire, vraisemblablement,  islamique.    Ils disparaitront  alors dans une « palestinisation » d’Israël, qu’ils  devront alors quitter, de gré ou de force.

A moins que, autre solution encore, pour gagner la bataille démographique,  les Israéliens modifient radicalement leur  définition de ceux à qui ils appliquent leur «  loi du retour » ;  et l’ouvrent à tous ceux qui, par millions,  sans aucune filiation,  pourraient vouloir se convertir au judaïsme ; comme ils l’ont fait il y a 20 ans  avec ceux, juifs ou prétendus tels, arrivant de l’ancienne Union soviétique.  Ils les installeront alors dans de nouvelles colonies, chassant les Palestiniens. Ce serait alors  l’ « israelisation »de la Palestine.

La juxtaposition de deux Etats viables, la palestinisation d’Israël, l’israélisation de la Palestine. Trois scénarii aujourd’hui invraisemblables. Et pourtant,    l’un d’entre eux se réalisera.  Le deuxième est aujourd’hui, de loin, le plus probable.

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