L’élection d’un pape donne-t-elle des leçons utiles aux institutions démocratiques ?
A priori aucune : l’élection secrète, lors d’un conclave, après un nombre indéterminé de tours de scrutin, d’un homme, obligatoirement célibataire, par 133 autres, choisis pour la plupart par son prédécesseur, pour diriger seul, en s’appuyant sur une administration à ses ordres, jusqu’à sa mort, une institution ayant une autorité morale sur plus d’un milliard de fidèles, est à l’évidence totalement contraire à tous les principes démocratiques.
Et pourtant, cela mérite qu’on s’y intéresse : même si certaines élections de papes furent, dans le passé, l’occasion de transactions peu avouables, de guerres sanguinaires, ou de schismes durables, ce mécanisme, et l’institution qu’elle incarne, l’Église catholique et romaine, survivent depuis près de deux millénaires et 267 papes se sont succédés.
C’est même la plus ancienne institution humaine encore existante aujourd’hui : la monarchie égyptienne, établie en 3100 avant notre ère, s’est achevée avec la mort de Cléopâtre VII en 30 avant notre ère ; plus courte encore fut la monarchie chinoise, et d’autres, dont la monarchie française. L’autre plus ancienne autre institution humaine existante encore aujourd’hui semble être, après l’Église catholique, le Parlement islandais, qui ne fut établi qu’en 930 de notre ère.
On doit donc réfléchir aux leçons qu’on peut tirer des mécanismes d’élection d’un pape :
Dans les dictatures, le processus de sélection du chef est assez proche de celui du pape : à la mort du tyran précèdent, ses acolytes, (s’ils ne sont pas renversés par le peuple ou par le coup d’état de l’un d’entre eux, ou d’un tiers) se réunissent pour choisir le successeur. C’est ainsi que furent choisis les quelques secrétaires généraux du parti communiste de l’Union soviétique, nécessairement aussi chef de l’Etat. En Chine aujourd’hui, malgré la limitation théorique du mandat des dirigeants, le mécanisme de sélection du dirigeant suprême, est aussi très proche de celui-là. De même dans tous les autres régimes à parti unique ou dirigés par un quarteron d’officiers.
Et dans les pays démocratiques ? A priori, rien de semblable. Et on ne peut évidemment imaginer répliquer la limitation du corps électoral à quelques-uns, ni imposer le secret des débats précédents les votes. Par contre, trois caractéristiques de l’élection papale pourraient fournir une utile matière à réflexion aux institutions démocratiques :
D’abord, lors de l’élection papale, aucun des électeurs n’est candidat, en tout cas ouvertement.
Ensuite, les électeurs peuvent voter en secret et librement pour celui qu’ils préfèrent d’entre tous les autres électeurs.
Ensuite encore, la campagne électorale sert d’abord à faire le bilan de l’institution puis à choisir les orientations que les électeurs veulent lui donner à l’avenir.
Enfin seulement, on passe au vote. Secret. Sans influence extérieure ; sans que personne ne soit candidat. Et on peut avoir à voter un nombre très élevé de fois, jusqu’à ce que se dégage une majorité qualifiée sur un nom.
Peut-on imaginer répliquer ces principes pour l’élection d’un maire, ou d’un président ?
Cela voudrait dire commencer la campagne électorale par un long débat entre les électeurs sur le bilan du mandat précèdent, sur ce qui fut des succès et des échecs, puis à débattre de la situation du pays, à définir des priorités pour l’avenir. Sans avoir de candidats déclarés. Cela voudrait dire ensuite écouter tous ceux, parmi les électeurs, qui auraient quelque chose à dire sur tout cela, qu’ils soient politiciens professionnels, militants de partis, militants associatifs, salariés, entrepreneurs, professeurs, médecins, retraités, ou tout autre. Cela voudrait dire enfin laisser émerger, peu à peu, au cours de ces débats, des candidats implicites, qui n’auraient jamais à se déclarer, et qui sortiraient du lot par leur éloquence, l’importance de leurs analyses et la pertinence de leurs propositions.
Les électeurs voteraient ensuite pour l’un d’entre eux, sans que nul parmi eux ne se soit, en principe, jamais déclaré candidat. Et comme, les voix seraient très vraisemblablement dispersées entre des milliers de non-candidats, on devrait faire des centaines de tours pour parvenir à un résultat majoritaire.
C’est sans doute impossible à répliquer, sinon, peut-être, pour les élections municipales dans des communes de petite taille, pour désigner le maire, qui choisirait ensuite son équipe.
On peut cependant en tirer quelques leçons essentielles utiles en démocratie à tous les niveaux :
- L’analyse de la situation, des problèmes et des programmes doit passer avant le choix d’un Président ou d’une Présidente.
- Le Président, ou la Président devrait pouvoir être choisi sans avoir à être candidat, parmi les électeurs qui pourraient susciter par leurs votes des candidatures hors de la classe politique.
On pourrait donc imaginer une première phase de campagne limitée à des débats de fond, sur l’analyse de la situation et l’élaboration de programmes. Puis on demanderait aux électeurs de faire connaître les noms de ceux qu’ils rêveraient d’avoir comme Président pour mettre en œuvre ce programme. Puis, seulement après, on voterait sur des noms.
Plus simplement formulé encore, il y aurait deux votes successifs : d’abord un vote sur un programme, puis un vote sur le nom de celui ou celle qui serait le mieux à même de le mettre en œuvre.
En agissant ainsi, on aurait grandement amélioré le processus électoral. On aurait incité à se concentrer sur les programmes, qui sont les grands oubliés de toutes campagnes électorales.
Sans doute aussi ne faudrait-il pas oublier que l’essentiel de ce qui explique la pérennité de l’Église catholique et romaine est ailleurs : il reste d’être capable, malgré toutes ses turpitudes, passées et présentes, d’inspirer à ses fidèles un attachement ; ou plus exactement une espérance.
Une espérance. C’est bien plus important que des procédures. Une grande nation devrait pouvoir en faire au moins autant.
Image : Le Conclave, 1903, Unbekannt