Chacun connait la célèbre phrase prononcée fin septembre 1938 par Winston Churchill à l’adresse du premier ministre britannique de l’époque, Neville Chamberlain, après les accords de Munich par lesquels la Grande-Bretagne et la France avaient abandonné la Tchécoslovaquie à Hitler : « Vous aviez le choix entre la guerre et le déshonneur. Vous avez choisi le déshonneur, et vous aurez la guerre ».[ ]

Toutes proportions gardées, la même formule s’applique à l’accord entre Européens à propos de la crise grecque des finances publiques : Convaincu qu’un accord a tout prix était une meilleure solution qu’une crise, les Européens ont accepté que le soutien financier promis à la Grèce prévoie un recours, pour au moins un tiers des besoins, au Fonds Monétaire International.

Cette décision est absurde : le FMI n’a aucune expertise particulière en matière d’endettement intérieur, tout occupé qu’il fut dans son histoire par les problèmes de balance de paiement ; or, la Grèce, qui fait partie de l’Eurogroup, n’a pas de problème de balance de paiement, mais un problème de service de la dette publique. De plus, cette décision, qui a provoqué un lâche soulagement, est déshonorante, car elle confie le soin de sauver l’euro à une institution financière internationale aujourdhui totalement dominée par les Etats-Unis, (quel que soit les qualités et les nationalités de ceux qui le dirigent ) ; alors que les Européens, qui possèdent 30% des voix au FMI n’ont jamais réussi à y peser et ont tous les moyens de garantir la solidité de leur propre monnaie : la Banque Européenne d’Investissement, par exemple, peut très aisément mobiliser les ressources nécessaires pour faire reculer les spéculateurs.

Cette reddition est d’autant plus absurde qu’elle n’empêchera pas la catastrophe. Personne sur les marchés, (qui déterminent le destin des pays endettés), ne croie en effet que le Fonds Monétaire, tel qu’il est aujourd’hui construit, réussira à imposer aux Grecs des conditions politiquement inacceptables. Et chacun des acteurs sur ces marchés sait que les Etats-Unis n’ont aucun intérêt à sauver l’euro, tout occupés qu’ils sont à conserver au dollar sa position de monnaie de référence unique, condition du financement de leurs propres déficits. Les marchés vont donc faire payer de plus en plus cher ses emprunts à la Grèce, qui fonce vers le défaut. Et appels de la Grèce aux prêteurs les plus spéculatifs n’est pas très bon signe.

Au lieu de menacer, comme viennent de le faire la France ou d’autres , de déclencher une crise à propos de la réforme de la politique agricole commune, pour défendre des subventions gigantesques reçues par quelques milliardaires agricoles, il aurait mieux valu accepter une crise en Europe sur le soutien à la Grèce. Elle n’aurait pas été très longue : les Allemands ne peuvent se permettre de laisser sombrer l’euro .

Et la France et la Grande Bretagne ne peuvent se le permettre moins encore. Car, après la Grèce, l’Espagne et quelques autres, ces deux grands pays finiront avec leurs dettes abyssales, par se trouver en première ligne. Et c’est le même FMI qui finira par leur imposer des coupes budgétaires sévères et un ajustement aussi brutal que celui qu’aurait permis une dévaluation avant l’euro.

On connait la suite. Deux ans plus tard après Munich, Winston Churchill devenu premier ministre promettait à son peuple « du sang, de la sueur et des larmes ».