Quinze jours après la publication du rapport que Nicolas Sarkozy a commandé au directeur général de l’Insee, Jean-Philippe Cotis, sur le partage entre salaires et profit dans l’économie française, il est temps de faire le point sur les débats qu’il a provoqué. Ils sont consternants.

D’abord les faits: on a voulu voir dans le rapport Cotis une apologie de l’actuelle distribution des revenus en France. En réalité, il dénonce trois scandales:

– D’une part, les revenus distribués du capital ont augmenté massivement: la part versée des dividendes aux détenteurs du capital a plus que doublé depuis une quinzaine d’années. De 7% en 1993, elle est passée à 16% de l’excédent brut d’exploitation en 2007. En moyenne, 57% des bénéfices des 41% d’entreprises qui versent des dividendes reviennent à l’investissement, 36% sont reversés aux actionnaires et seulement 7% reviennent aux salariés par le truchement d’intéressement, de participation ou d’abondement.

– D’autre part, les inégalités entre les salariés se sont aggravées: si depuis vingt ans la part des rémunérations salariales dans la valeur ajoutée est restée stable, (autour de deux tiers), l’inégalité entre les salariés s’est fortement accrue. Le salaire brut des 130.000 personnes les mieux payés, soit 1% des salariés, est passé en dix ans de 5,5% à 6,5% de la masse salariale dépassant 120.000€, Les 0,1% de salariés les mieux rémunérés, soit 13.000 personnes, atteignent 297.000€ par an.

A cela, il aurait fallu ajouter les gains de stock-options qui représentent souvent plus de la moitié de la rémunération des cadres dirigeants, de même que les indemnités de départ, ou «parachutes dorés», qui peuvent parfois atteindre l’équivalent de plusieurs centaines d’années de Smic. Sans compter les fonctions diverses qu’exercent souvent les dirigeants d’entreprises qui les amènent à avoir plusieurs sources de revenus. Loin des 1% d’augmentation de la masse salariale annoncée, il est plus vraisemblable que les salaires des mieux rémunérés aient presque doublé en dix ans. A l’autre extrémité de l’échelle salariale, les 10% les moins bien payés ont connu une très légère hausse de leurs revenus du fait de la relative augmentation du Smic.

– Enfin, le salaire du «salarié médian», c’est-à-dire celui de la classe moyenne, a stagné, écrasé par les charges. Et c’est en réalité plus grave encore car les hausses des cotisations sociales et patronales sont incluses dans le décompte des hausses de la masse salariale, alors que l’augmentation du nombre de salariés dans les entreprises entraine en réalité une diminution du revenu par tête.

Pour que l’étude ait eu plus de portée, il aurait donc  fallu avoir le courage d’aller au-delà d’une  mesure statistique globale. Et même de regarder ce qui se passe profession par profession. En osant  se poser la question de savoir si ceux dont les revenus augmentent le plus sont ceux dont l’utilité sociale est la mieux établie. Aujourd’hui, pour ne pas avoir à se poser explicitement cette question très difficile, on laisse le marché (ou plutôt  les relations et les rapports de force) décider des revenus. Et on n’ose pas affronter le fait que nos  sociétés paient mieux  les grands patrons que les grands professeurs; les footballeurs que les cancérologues, les banquiers que les ingénieurs. Autrement dit,  seuls augmentent les revenus de ceux qui dirigent, qui financent, ou qui distraient. Piètre société. Folle aussi,  parce que, à ce rythme, son déclin est assuré.

Il faudrait avoir le courage de reconnaitre qu’il est scandaleux qu’un jeune chercheur, ou professeur d’université, même dans des secteurs aussi évidemment utiles que la médecine, gagne en général moins de 2.500 euros par mois quand son homologue dans la banque gagne parfois dix fois plus et même 100 fois plus (oui, 100 fois!) dans le football. Et de reconnaitre qu’il ne sert à rien de parler de la réforme de l’université, ou de l’hôpital, aussi longtemps que tout pousse les plus brillants des jeunes à partir enseigner et chercher à l’étranger.

C’est sans doute la priorité: oser augmenter massivement les salaires des chercheurs,  des professeurs, des ingénieurs,  les plus brillants. Aucune dépense budgétaire ne serait plus justifiée car ce serait évidemment le meilleur investissement possible.

Et qu’on ne dise pas qu’il est difficile de les choisir. la France est encore une méritocratie qui sait   nommer ses élites par leurs diplômes. Il lui faut maintenant retrouver le courage de les rémunérer en fonction de leur utilité. La survie  scientifique, industrielle, économique, humaine  du pays est à ce prix.