La campagne pour les élections européennes n’a pas démarré. Elle ne démarrera pas. Et pourtant, elle pourrait ne pas manquer de sujets : comment l’Europe pourrait-elle se défendre, si l’alliance américaine s’éloignait ? Comment pourrait-elle retrouver une dynamique de croissance et d’emploi ? Comment pourrait-elle retrouver une profondeur démocratique ? A ces questions, les antieuropéens apportent des réponses simples : finissons-en avec l’Union Européenne, au moins avec l’euro, et chaque nation retrouvera les moyens de répondre à ces questions. Illusion, évidemment, car aucune nation européenne, si elle se retrouvait en plus en concurrence brutale avec ses voisines, n’aurait les moyens d’affronter les enjeux du monde.

Et pour autant, les Européens ne tentent pas de le faire ensemble. Ainsi, sur le principal sujet, celui de la croissance, on croit rêver en écoutant les débats du moment : chacun constate que l’Union Européenne traverse une période de récession ; et si la Grande-Bretagne semble en être sortie, c’est parce que près du quart de sa richesse nationale est produit par la City, principal lieu de blanchiment d’argent et d’économie casino de la planète, sans aucun bénéfice pour les citoyens britanniques. Pour la zone euro, le risque est même aujourd’hui d’entrer en déflation, c’est-à-dire dans une récession s’accompagnant d’une baisse des prix aux conséquences désastreuses : aggravation du poids des dettes publiques et privées, baisse du pouvoir d’achat, arrêt de l’investissement, recul de l’innovation.

Les causes en sont bien connues : l’insuffisance du financement de l’investissement. Et les politiques nationales actuelles, (qui ne visent qu’à réduire les dettes publiques, en réduisant les dépenses et en laissant monter la valeur de la monnaie), ne feront qu’aggraver la situation et rendre irréversible la plongée dans la déflation.

Et pourtant, à un mois des élections au Parlement européen, au moment où justement devraient s’affronter les programmes politiques visant à répondre à cette situation, personne n’attend de réponse des partis politiques, dont les discours sont indigents, ni de la Commission européenne, dont la lâcheté depuis le début de son mandat empire chaque jour, ni du Conseil européen, où les chefs d’Etat et de gouvernement viennent passer quelques heures pour régler les urgences, sans jamais parler du fonds. Le seul acteur pris au sérieux, c’est la Banque Centrale Européenne, qui a déjà sauvé l’euro fin 2011, et dont les marchés mondiaux espèrent que, face à la menace mortelle qui pèse sur l’Europe, par la déflation et la hausse de l’euro, elle emploiera une des ultimes armes encore à sa disposition, telles la baisse des taux d’intérêt au-dessous de zéro, ou l’émission sans contrepartie de deux mille milliards d’euros.

Et pourtant, la vraie réponse n’est pas là : l’Europe n’a pas besoin aujourd’hui de fausse monnaie, mais de véritables investissements. Et, au lieu de lâcher dans la nature 2 000 milliards d’euros au seul profit des banques, il serait bien plus raisonnable de financer, par des emprunts de la zone euro (seule entité n’ayant aucune dette), un même montant d’investissements cruciaux pour notre avenir, et dont chacun sait qu’ils ne seront jamais financés par les seuls investisseurs privés, parce que leur rentabilité est à trop long terme. La liste en est longue ; elle est aujourd’hui clairement documentée et chiffrée par d’innombrables études : des réseaux transeuropéens de transport ferroviaire (9 corridors sont à équiper, de la Baltique à la Méditerranée), d’énergie (250 projets sont en souffrance, visant à améliorer l’interconnexion des sources existantes et à réduire la dépendance à l’égard des sources externes), de numérique (pour organiser l’accès continental au haut débit) et de financement des PME. Au total, un montant voisin de ce qu’on s’apprête à espérer voir émis par la planche à billet de la BCE, avec bien plus d’utilité.

L’avenir de l’Europe passe par la prise en compte des besoins des générations prochaines ; ce que j’ai nommé ailleurs « l’économie positive ». Et, pour cela, par la création d’instruments d’un « capitalisme patient » européen, au service de la démocratie. De cela, personne n’est aujourd’hui comptable. Les électeurs sauront-ils réclamer aux politiciens d’agir dans l’intérêt de leurs enfants ? S’ils ne le font pas, ils ne pourront s’en prendre qu’à eux-mêmes.