Avant de menacer de nationaliser des entreprises privées, les hommes politiques devraient commencer par nationaliser l’Etat ;  c’est  à dire  le mettre au service de la Nation et non de leurs ambitions politiciennes ou médiatiques.

Ce qui vient de se passer à Florange est révélateur de ce mal. L’on peut, l’on doit même,  réprouver la stratégie de M. Mital, financier sans parole ni stratégie industrielle ; mais un ministre, en l’occurrence M. Montebourg, ne peut oublier que la France n’est pas la Corée du Nord et qu’elle évolue dans une économie ouverte à tous les vents du monde. Il ne peut non plus oublier que les investisseurs étrangers – que tous les gouvernements se disputent, et qui, avant d’investir dans un pays,  en mesurent l’attractivité – ne peuvent qu’être terrifiés quand un ministre dit que l’un d’entre eux, qui y emploie plus de 20.000 personnes,  n’est pas bienvenu en France.

Cette sortie médiatique,  aussi bien intentionnée serait-elle,  coûtera à la Nation des milliards d’investissements et  donc  des milliers d’emplois. Sans évidemment  qu’on puisse en attendre aucun résultat, puisque la nationalisation d’un site sidérurgique sans ses capacités de distribution et de transformation, et sans ses licences technologiques,  dans un secteur où la surcapacité de production européenne est durable, est vide de sens.

Il faut être bien ignorant, ou bien soucieux de son image, au détriment de l’intérêt général, pour faire naitre chez les travailleurs, de Lorraine et d’ailleurs, de tels faux espoirs. Il était évident, depuis le premier jour, que la nationalisation de Florange n’avait pas de sens, ni économique, ni social. Qu’il n’y avait pas de repreneur fréquentable.  Que la menace de nationaliser n’est pas une menace crédible. Et que prétendre que la nationalisation ne couterait rien parce qu’on la financerait en vendant des actions d’autres entreprises publiques vaut le discours de quelqu’un qui prétendrait ne rien risquer au jeu puisqu’il n’y mise que ses bijoux de famille.

M. Montebourg s’est conduit, dans ce dossier, comme dans d’autres depuis sa prise de fonction, d’une façon dynamique, volontariste, et surement de bonne foi. Mais  contraire aux intérêts de la nation. Au lieu de faire son métier de ministre du redressement productif, qui est de créer les conditions de l’amélioration de la compétitivité des entreprises, de favoriser l’éclosion d’entreprises nouvelles,  en particulier écologiques, de mettre en réseaux universités, centres de recherches et entreprises, d’accompagner la croissance des entreprises de taille intermédiaire, d’attirer des investissements étrangers, il passe son temps dans les médias à prétendre défendre des emplois perdus (voire inexistants, car occupés par des personnes partant bientôt en retraite) , sans se préoccuper ni  de protéger ni de former ceux qui sont ainsi menacés, ni d’attirer sur ces territoires des emplois nouveaux. Et en s’absentant  quand il s’est agi  d’expliquer, (comme l’a fait courageusement,  à sa place, le premier ministre), que la nationalisation d’un site industriel , dans un secteur où la demande s’est structurellement effondrée, est une idée absurde,  contraire aux intérêts des travailleurs et des territoires ; et qui ne peut que séduire des capitalistes cyniques, qui y verront une façon d’obtenir des contribuables le financement de leurs pertes.

Nationaliser l’Etat, c’est le mettre au service de l’avenir. C’est, pour un ministre, se demander ce qu’il peut faire, modestement, d’utile pour les générations suivantes. Sans se préoccuper de sa popularité. En acceptant le monde tel qu’il est, pour en tirer le meilleur parti.

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