Pour traverser la crise actuelle , les nations, comme les entreprises,  devront   bouleverser leurs organisations. Les entreprises le savent mieux que les nations, car elles ont conscience de leur précarité ; elles se posent sans cesse, même si elles ne le nomment pas ainsi, la question de savoir si leur « modèle d’affaire » (le célèbre « business model » défini d’abord par les  universités  anglo-saxonnes) est encore valide ;  c’est-à-dire si elles peuvent continuer à produire et à vendre de façon équilibrée.  Or, aujourd’hui,  même   si beaucoup continuent d’espérer que tout va vite revenir au monde ancien,  elles commencent à réaliser, dans de nombreux secteurs, (et  d’abord les premiers touchés : les  banques, la distribution, l’automobile, le transport aérien) que leur  « modèle d’affaires »  ne tient plus : Les clients ne sont plus là pour acheter ; les banques ne sont plus là pour prêter.     Et cela exige des bouleversements durables.

D’abord  des bouleversements quantitatifs : pour  survivre pendant plusieurs années avec des recettes beaucoup plus basses, elles devront réduire leurs dépenses d’investissements, leurs stocks, leurs gammes de produits ; elles  devront allonger les délais de paiement de leurs fournisseurs ; elles devront transformer une part aussi grande que possible de leurs couts fixes en couts variables. Autrement dit,  généraliser la précarité,  aggravant la crise.

Ensuite des bouleversements qualitatifs : les consommateurs vont chercher à consommer de plus en plus malin : l’ostentation n’est plus de mise  et  nous entrons durablement dans une économie de soldes, dans laquelle chaque entreprise  aura le plus grand mal à maintenir la spécificité des  marques,  face aux produits génériques.

Les gouvernements,  confrontés aux mêmes problèmes, n’agissent pas aussi vite. Parce qu’ils n’ont pas les memes exigences de survie ; parce qu’ils sont parfois plus menacés par les électeurs en agissant qu’en n’agissant pas ; parce qu’ils croient avoir le temps ; parce qu’ils sont pris dans des mécanismes de décisions très complexes et des lobbys contradictoires. Alors, faute d’agir,  ils parlent : ils  annoncent d’énormes plans de relance, qu’ils ont un mal fou à  débourser : Alors que la première  priorité  est l’augmentation des fonds propres des banques, l’amélioration de la trésorerie des entreprises, l’augmentation de la demande,  et la réduction des dettes, donc des déficits,  rien de sérieux ne se passe, dans aucun pays.

A l’inverse,  les banques centrales ne parlent pas, en raison de la rigidité de leurs doctrines et de l’unicité de leurs objectifs, mais elles   agissent :  elles fournissent des sommes immenses à l’économie , permettant même, au mépris de toute orthodoxie, aux entreprises d’obtenir de l’argent en direct en échange de papier commercial, en utilisant pour cela des noms aussi discrets et obscurs que possible, ( le dernier  qualificatif apparu dans les communiqués des gouverneurs de banques centrales  étant « quantitative easing », soit «  facilitation quantitative »   ce qu’on devrait plutôt  traduire par «  planche à billet »)  .

Mais cela ne pourra suffire : une entreprise ne pourra survivre par le seul jeu de ses réformes internes ni par le seul recours au papier monnaie : elle ne pourra en effet  mettre  en dépôt a la banque centrale du papier de ses clients  si elle  n’en a pas. Si  le marché, une fois de plus, se révèle plus rapide et  plus adaptable que la démocratie, on ira  droit vers l’hyper inflation ( de plus de 20% par an) ,  forme extrême de la déloyauté, qui fera disparaitre les dettes, au détriment des préteurs. Déjà, bien des entreprises s’y préparent.    Bien des démocraties y sombreront.