Dans la plupart des économies du monde, aujourd’hui, le logement est l’un des principaux determinants de la croissance. D’une part parce qu’il est un grand pourvoyeur d’emplois ; d’autre part parce que la valeur des patrimoines immobiliers determine très largement la capacité d’emprunt et le désir de consommer des ménages. Et tous les pays cajolent ce secteur.

On pourrait penser que la France est un paradis pour ce secteur : une population en croissance démographique, avec des besoins de logement sans cesse renouvelés ; une décohabitation croissante, provoquée par la dissolution accelerée des couples ; une demande croissante de résidences secondaires, indiviuelles ou collectives, pour des Français ou des étrangers ; des besoins urgents de mise à niveau environnementale, qui appellent à la rénovation des logements existants ; des taux d »interet très bas, qui rendent le financement peu couteux ; enfin, des aides publiques massives (ayant doublé en 20 ans et representant plus de 2% du PIB) qui en font un des secteurs les plus aidés de l’économie.

Et pourtant, les logements sont rares en France ; de plus en plus rares : il manque au moins 1,5 millions de logements neufs. Plus de 4 millions de Français sont logés dans des lieux insalubres. En conséquence, le prix des logements, comme les loyers, ont doublé en France en 20 ans, alors qu’ils sont restés stables en Allemagne, pénalisant le pouvoir d’achat et augmentant le cout du travail.

Au total, l’industrie du logement ne representent que 5% du PIB français (ce qui en fait le pire ratio d’éfficacité des dépenses publiques). D’autant plus, que plus de la moitié des aides sont consacrées à d’autres qu’aux bas revenus ; alors qu’y pullulent aberrations et privilèges : par exemple, les offices d’HLM, même les plus riches, ne paient pas l’impot sur les sociétés, privant le budget de l’Etat de plus de 1 milliard de recettes.

Pour courronner le tout, une nouvelle loi, dit loi Duflot 2, ou loi ALUR, sous pretexte de renforcer le pouvoir des locataires face aux propriétaires, s’est traduite récemment en un délire bureaucratique, exigeant plus de 208 décrets d’application, dont seulement 50 ont été pris ; bloquant toute perspective de rentabilité pour le logement locatif.

Tout se ligue alors pour qu’on ne construise pas : les élus, qui ne veulent pas que de nouveaux venus viennent modifier l’équilibre social qui les a fait élire ; les propriétaires, qui ne veulent pas qu’une nouvelle offre de logement remette en cause la rareté du leur ; les constructeurs, plus à l’affut de subventions que de projets économiquement rentables.

En conséquence, la construction de logement est entrée en France, dans les derniers mois, dans une crise majeure : le nombre de mises en chantier est descendu en dessous de 270 000 logements par an, alors que le plan était d’en construire 500 000, et ce nombre baisse de 20 % par rapport à l’année précedente.

Cet effondrement pénalise de près de 1 point le taux de croissance de l’économie francaise, par le seul effet mécanique de la baisse de la production de logements, et plus encore si on tient compte de l’ensemble des effets indirects.

Il est urgent de mettre fin à ce desastre. Les Français n’ont rien à gagner à protéger les rentes. Ils ont tout à gagner à ce qu’on construise le plus vite possible des logements plus durables et moins couteux.

Pour y parvenir, il faudrait avoir l’audace de décider d’urgence de mesures radicales. D’abord, abroger au plus vite, la loi ALUR. Puis, réduire massivement les aides au logement,en dehors du secteur du logement social et mettre les organismes de HLM en situation d’efficacité, en les considérant comme des entreprises comme les autres. Enfin, dégager des terrains à construire, en reprenant aux élus locaux le pouvoir sur le foncier, pour le rendre aux représentants de l’Etat, moins sensibles au conservatisme des propriétaires.

Il faudrait faire cela vite. Dans le mois qui vient. Cela dégagerait dès 2014 des perspectives réelles de croissance. C’est d’autant plus urgent que l’économie française stagne et qu’il n’y a pas d’autres moteurs d’une telle puissance.

De l’audace qu’auront, ou n’auront pas, le gouvernement et le Parlement, pour mener cette réforme, on jugera si la France est restée le pays des monopoles, de la rente et des privilèges, ou si elle peut enfin passer du côté de la concurrence, du profit et de l’équité.

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