A propos du choix par Jean Sarkozy de Solal comme prénom de son fils, Jean Marie Le Pen a cru bon de faire remarquer que « ce qui ne relève pas d’une franche assimilation de sa famille à la société française ».

On pourrait se contenter de hausser les épaules et de passer son chemin devant une des ultimes manifestations d’un racisme de plus en plus dérisoire, au milieu d’un débat mal venu sur l’identité nationale.

Mais sans doute faut-il prendre plus au sérieux cette remarque. D’abord parce que ce monsieur s’est trouvé il y a dix ans au second tour d’une élection présidentielle. Ensuite parce que le choix des prénoms dit énormément sur l’évolution d’une nation.

A priori, la remarque elle-même, sur ce prénom particulier, est particulièrement absurde. Solal est en effet le prénom du héros d’une des plus grandes sagas de la littérature francophone , personnage récurrent , qu’on retrouve dans les quatre magnifiques livres de la tétralogie d’Albert Cohen: son premier roman, Solal, paru en 1930 ; puis Mangeclous en 1938, puis Belle du Seigneur publié trente ans après, et enfin les Valeureux en 1969. Solal : amoureux, cynique et opportuniste, diplomate de génie, venu de Céphalonie avec ses inénarrables cousins, mêlé à toutes les grandes affaires de la Société des Nations, dont il est un des haut fonctionnaires les plus lucides ; se niant lui-même pour s’assimiler, puis s’affirmant en niant les autres, et enfin allant au bout de sa négation du monde. Qui n’a jamais rêvé d’être un jour Solal ?

De plus, si Solal est un prénom d’origine hébreu signifiant « celui qui ouvre le chemin, le guide », c’est aussi, ironie particulière, le cas du prénom de Monsieur Le Pen : Jean-Marie renvoie en effet à deux prénoms d’origine hébraïque : Jean est la forme latinisée de « Yosh annan » (Dieu Pardonne) et Marie celle de « Myriam », prénom de la sœur de Moise et de la femme de Joseph.

Plus généralement, les prénoms renvoient partout à des origines infiniment diverses et révélatrices de la dynamique d’une nation. En France, on en trouve d’origines celtes, germaniques, italienne, saxonnes, hébraïques, arabes ; et très peu sont d’origine gauloise. De fait, les prénoms avancent avec les vagues de peuplement, qui sont aussi autant de modes. Ainsi avons-nous eu récemment d’innombrables Philippe, puis d’aussi nombreux Charles. Avant d’inaugurer le temps des Loanna et des Nolwenn. Et celui des Abdel et des Minh.

Les prénoms ne se normalisent pas. Ils sont comme des êtres vivants. Ils naissent, voyagent, s’installent, se rencontrent, s’apprivoisent, se croisent, évoluent, puis repartent ou font souche et se diversifient. Quand une nation décline, se rétrécit et se recroqueville, elle assimile ; et le nombre de prénoms qu’elle emploie est de plus en plus réduit, signe de son uniformisation. Au contraire, quand une nation est vivante, dynamique, ouverte, en croissance, elle intègre ; et elle utilise alors de plus en plus de prénoms différents, dont elle se nourrit pour augmenter sa diversité.

L’assimilation appauvrit. L’intégration enrichit. On peut remercier Jean Marie Le Pen de l’avoir rappelé .