Il  y  a bien des façons de voyager. Et, en ces temps particuliers, au moment où il faut renoncer aux grandes expéditions, lire un bon livre en est une. Que ce soit  un roman, une biographie ou un  essai,  un bon livre est une façon de se transporter dans un autre monde, de le visiter, de l’explorer, et d’en revenir plein de souvenirs. C’est aussi, comme  les plus intenses des  voyages, une expérience utile, une façon d’affronter des épreuves, d’expérimenter des stratégies et des comportements, qu’on stocke,  ensuite inconsciemment, dans une sorte de  bibliothèque intérieure, pour les ressortir, un jour peut-être, dans certaines circonstances de la vie réelle.

Si un essai vise en général à fournir très explicitement de tels conseils, une biographie en apporte  aussi en incitant à imiter son héros ; un roman le fait aussi en permettant de vivre virtuellement des situations imaginaires, qu’on ne rencontrera presque sûrement jamais, mais qui enrichissent la panoplie de réactions possibles face à toutes sortes de situations, à toutes les formes d’adversité.

Même pour les grands lecteurs, les vacances sont un moment privilégié pour lire plus encore. Et c’est dans cet esprit que j’ai ici choisi pour vous dix des livres que j’ai lus ou relus avec grand intérêt dans les six derniers mois. Pas nécessairement des livres très récents. Juste des livres que j’ai découverts, ou redécouverts, récemment et dont le souvenir m’habitera désormais.

  • Salomon Gurski de Mordecai Richler, un picaresque roman d’un très grand écrivain canadien. Un chef d’œuvre d’autodérision, d’imagination, de style, et de surprises.
  • Tout ce que j’aimais, un roman d’une grande subtilité, qui explore en profondeur toutes les dimensions de l’hystérie, le chef d’œuvre de Siri Husvedt, qui est bien plus que l’épouse de Paul Auster
  • Un fils en or, de Shilpi Somaya Gowda, le grand roman de l’Inde moderne, dans ses conflits avec ses traditions. Des personnages bouleversants.
  • Un jour ce sera vide, de Hugo Lindenberg ; un roman fascinant, sur la fin de l’enfance, et la fin des vacances, dans une extraordinaire économie de mots. Le roman du silence.
  • Les Mémoires d’Hadrien, ce roman inclassable de Marguerite Yourcenar que je relis ou parcours tous les ans, pour retrouver une exigence de style et de précision de vocabulaire.
  • Paul Morand de Pauline Dreyfus. Le personnage est abominable, l’écrivain médiocre, mais la biographie est vertigineuse ; elle est celle de tout un siècle, et de ses perversions.
  • Jusqu’à la fin des temps, de Brian Green, un excellent survol, de très haut niveau et très clair de l’état des sciences physiques,  biologiques et neurologiques d’aujourd’hui; rarement la vulgarisation a été aussi limpide et à un aussi haut niveau ; en finissant, on saura tout de l’état du savoir sur la théorie des cordes et la place de la conscience dans le destin de l’univers.
  • Vivre avec nos morts, de Delphine Horvilleur, le bouleversant récit d’un métier de consolation. Plus que des souvenirs, un très grand texte littéraire, écrit par une très belle personne.
  • L’inconnu de la poste, de Florence Aubenas, encore une belle  enquête, rigoureuse, de cette grande journaliste. Ici sur les mystères, les grandeurs et les mesquineries d’une petite ville de Savoie confrontée à une fausse gloire parisienne.
  • Les Gathas, le plus ancien texte sacré connu, redécouvert il y a peu de temps, et dont tous les autres livres sacrés des religions monothéistes ou indouistes se sont plus ou moins inspirés ; remarquablement traduit et présenté par Khosrô Khazai Pardis. Un livre que tout croyant, et tout incroyant devrait avoir lu ; pour resituer ses convictions dans l’histoire de celles des autres humains.

J’aurai pu parler aussi de Marcel Proust, dont j’ai suivi  cette année le chemin dans de très nombreux livres qui lui ont été consacrés, et d’Albert Camus, dont la correspondance avec Maria Casarès m’a, comme beaucoup d’autres  lecteurs,  bouleversés. Et tant d’autres livres, que j’écarte, injustement. Et avec lesquels je voyage encore…

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