Un des exercices les plus communs et les plus salutaires, auxquels beaucoup de gens s’astreignent à la fin de chaque année, est d’écrire une liste de vœux pour l’année suivante. Et de vérifier la validité de la liste de l’année précédente.

Pour ma part, je tente depuis quelques années de le faire sous forme littéraire. Pas des listes, mais des phrases. Un récit.

Je vous invite à en faire autant : décrivez, de la façon la plus romanesque possible, au moins trois scénarios de votre année prochaine.

Un scénario très noir, où vous imaginerez le pire : où toutes les catastrophes imaginables vous arriveraient et arriveraient au monde. En se mêlant dans les engrenages les plus implacables.

Un scénario très rose, où tout se passerait le mieux possible, en termes de santé, d’amour, de nouvelle vie aussi, si tel est votre rêve secret.

Et enfin un scénario volontariste, décrivant ce qu’il faut entreprendre pour que l’année soit la plus proche possible du scénario rose, pour vous et les vôtres, et que vos projets avancent dans la bonne direction.

Le scénario noir aide à cerner les menaces et à prendre les résolutions nécessaires pour les écarter.

Le scénario rose permet de rêver des ambitions les plus folles, et de les cristalliser dans des mots et dans un récit.

Le troisième aide à approcher le rêve du vraisemblable et à créer les conditions de sa réalisation .

Pour que cet exercice réalistico-littéraire ait vraiment de l’intérêt, il faut le faire de la façon la plus littéraire possible en soignant son style, en employant de rares métaphores pour décrire une situation, une personne ou un sentiment. Pour marquer le respect qu’on se doit à soi-même. Et son désir de faire en sorte que les douze mois à venir soient aussi intenses que le sont les plus réussis des romans. Et qu’on ait envie de les vivre comme on peut avoir envie de dévorer un grand récit de fiction.

Chaque texte ne doit pas nécessairement être long : une page suffit ; en décrivant aussi bien les projets que les moyens de les accomplir, les échecs que les succès, les routines que les surprises, les amours que les chagrins.

Je vous invite à faire en sorte que ces récits s’accumulent d’année en année. Vous verrez que les relire est un exercice extrêmement salutaire même s’il entraîne souvent nostalgie, colère parfois, ou autodérision.

Vous pouvez garder cet exercice pour vous ou le partager en famille ou entre amis . Ou même encore le rendre public sur les réseaux sociaux. A chacun son rapport au monde.

Vous verrez que, la première fois qu’on s’y livre, cet exercice paraît presque impossible ; parce que l’imagination galope très vite , sans que le réel ne puisse le rejoindre, et que, quand il s’en mêle, le concret aplatit l’imaginaire, le plaque au sol et détruit tout élan.

Une vie réussie apparaît alors : celle qui serait le moins possible écrasée par les contraintes du réel. Parce qu’on a réussi à les maîtriser. Comme on maîtrise un style. Par du travail, de l’originalité et de l’authenticité.

Ce qui est aussi sans doute la définition la plus pure de l’œuvre d’art : sublimer le réel par un travail sur soi.

Pour durer au-delà même de sa propre vie, de ses propres maux, de ses propres mots.

Mon éditorial pour le Journal des Arts

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