Nous sommes l’un des pays du monde où les élus, en ­particulier les parlementaires, sont le plus souvent reconduits. Et l’un des rares pays où un élu, une fois battu, ne change pas totalement et définitivement de métier, ­attendant les scrutins suivants pour tenter, de nouveau, sa chance.

Les conséquences en sont terribles : la classe politique vieillit sur pied ; la droite vire au conservatisme le plus rance ; la gauche en reste à une conception de la défense des plus faibles issue des siècles passés. Tous, pour se maintenir aux affaires, se contentent de satisfaire les groupes de pression les plus véhéments et les plus enracinés de leurs circonscriptions, sans se préoccuper de l’intérêt général du pays, et moins encore de celui des ­générations suivantes. Et lorsque ces élus finissent par se résigner à quitter la vie politique, après trois, quatre ou cinq mandats, les mieux placés pour leur ­succéder, au moins dans la candidature, sont leurs suppléants et leurs attachés parlementaires, qui commencent à peupler en nombre Assemblée et Sénat.

Autres conséquences tragiques de cette crispation : très peu de femmes siègent au Parlement, malgré les règles des quotas, qui ne portent que sur les candidatures ; faute de débouchés dans les partis installés au pouvoir, les jeunes qui veulent faire de la politique cèdent aux sirènes de l’extrême droite, qui seule leur offre des circonscriptions, non par choix idéologique, mais par disponibilité. Et si on n’y prend garde, c’est par là, et là seulement, que viendra le ­renouveau.

Pour y remédier, il faudrait simplement que l’on vote une loi limitant à deux dans le temps le nombre de mandats de tout parlementaire.

La vie politique en serait bouleversée : plus de la moitié des parlementaires actuels dégageraient. Et aucun des ­nouveaux venus ne pourrait être, non plus, un ancien ayant déjà accompli deux mandats avant d’être battu.

Il deviendrait clair que le statut de député ou de sénateur n’offre pas une carrière et n’est qu’un passage dans une vie. Et si, en plus, on garantit le retour dans leurs entreprises aux salariés du secteur privé qui en prendraient le risque, la composition et les décisions du Parlement seraient d’une tout autre nature qu’aujourd’hui ; la vie politique retrouverait du sens.

Les élus plaideront qu’ils n’ont pas le temps de réfléchir à ce sujet, ayant d’autres urgences. L’argument ne vaut rien. Ils pourraient le faire. Tout de suite. Et même s’ils n’en avaient vraiment pas le temps, ils pourraient agir autrement : tout parlementaire terminant son deuxième mandat pourrait d’ores et déjà annoncer son intention de ne pas se représenter aux législatives et aux sénatoriales de 2017. Tous les partis devraient s’engager dès aujourd’hui à ne pas présenter aux prochaines élections un député ou un sénateur ayant déjà accompli deux mandats, qu’il s’agisse d’un sortant ou d’un ancien élu tentant un retour après une défaite.

Et pour ne pas remplacer les députés et les sénateurs par leurs actuels suppléants, assistants parlementaires ou par les patrons locaux des partis, ceux-ci devraient même ­organiser, dès maintenant, pour choisir les prochains et donc nouveaux candidats, des primaires locales, comme elles vont exister au niveau de l’élection présidentielle ; des primaires qui ne soient pas réservées aux seuls membres des partis, mais étendues à tous les sympathisants.

On devrait ensuite appliquer le même principe à toutes les élections : municipales, départementales, régionales, au moins en attendant qu’on supprime un de ces niveaux.

Les parlementaires actuels oseront-ils voter cela ? Sûrement pas. Ni avant la prochaine présidentielle ni même après : les derniers privilèges que ces élus remettront en question seront les leurs, et la nuit du 4 août n’est pas pour demain.

Alors, nous voici coincés, sans solutions, car, aujourd’hui, toute réforme de la Constitution, sur quelque sujet que ce soit, suppose l’accord des parlementaires. Et ils n’auront vraisemblablement pas le courage des sénateurs italiens, qui vont bien finir par voter leur propre disparition ! Cela rend impossible beaucoup d’autres réformes, telles la ­réduction du nombre de députés ou de sénateurs ou celle du nombre de communes. Il faudra alors réfléchir à d’autres moyens de changer la Constitution sans l’accord de ceux dont les intérêts sont menacés. Dans l’état actuel du droit, il ne reste plus, pour y parvenir, que le coup d’Etat, comme en 1958. Les élus seront-ils assez responsables pour l’éviter au pays ?