Aujourd’hui, nous vivons, partout dans le monde, deux formes de revendications apparemment contradictoires : D’une part, certains réclament des réductions immédiates, par la fiscalité, des inégalités de revenus et de fortunes. D’autre part, de très jeunes gens exigent qu’on fasse enfin ce qu’il faut, dans la longue durée, pour que le monde soit encore vivable quand ils seront des adultes.

En apparence, l’une est une revendication de court terme, l’autre de long terme. En réalité, c’est l’inverse.

Les inégalités ne peuvent être réellement réduites si on ne s’occupe pas de l’essentiel, qui est dans la transmission des moyens de réussir. C’est d’ailleurs bien ce que ressentent ceux qui se sentent victimes d’injustices : au-delà de leur propre pauvreté, ils ont le sentiment que leurs enfants ne pourront pas échapper à leur propre sort. Réduire véritablement les inégalités, exigerait donc d’augmenter à long terme les moyens de l’école ; de mieux former les chômeurs ; de s’opposer à toutes les formes de discrimination, en matière culturelle, sanitaire, sociale, entre les sexes, et entre les origines sociales. Ce n’est donc pas qu’une affaire de fiscalité, mais aussi et surtout une façon de penser et de renforcer dans la longue durée, avec ténacité, les services publics, et en particulier ceux de l’éducation. Et il ne faut donc pas en attendre des résultats immédiats.

L’environnement, lui, n’est pas uniquement une affaire de long terme. Il ne peut pas être amélioré, et d’abord stabilisé, si on ne prend pas immédiatement des décisions très lourdes, pour lutter tout de suite, dans la vie quotidienne, contre les gaspillages ; pour supprimer l’usage du plastique, pour réduire la production des gaz à effet de serre ; pour ne se nourrir que de produits de proximité. Ces décisions auront, elles, des effets très rapides, dans tous les secteurs de l’agriculture, de l’industrie, des services. Elles permettront de stabiliser les émissions de gaz à effet de serre, et d’éviter les désastres que provoquerait à long terme une dégradation du climat, quelque soit le progrès technique, dont certains, à tort, attendent tout.

Face à ce qu’on a pris l’habitude de nommer « l’ultralibéralisme », et qui n’est en réalité qu’une exacerbation de l’économie de marché, (provoquant un démantèlement des services publics par leur privatisation, et donnant la priorité à tout ce qui peut rapporter des profits à court terme aux détenteurs des capitaux), il faudrait avoir le courage de juger de la valeur d’un service public non par sa rentabilité mais par ce qu’il apporte à long terme au territoire où il se trouve.

L’action à conduire est donc à plusieurs niveaux : certains enjeux sont planétaires ; d’autres sont locaux. L’ultralibéralisme commet des ravages à tous les niveaux. Il faut le combattre de toutes les façons possibles.

Et son véritable adversaire, c’est « l’économie positive », qui se définit justement par la prise en compte de l’intérêt des générations futures dans toutes les décisions, privées et publiques. Ce n’est que dans ce cadre que les enjeux de la justice sociale et de la protection du climat peuvent être réconciliés. Et mettre en place une « société positive » suppose de créer les conditions pour que toutes les décisions, dans l’entreprise et dans les collectivités publiques, puissent être prises en fonction de ce critère ; comme, en principe, dans une famille, les principales décisions sont prises en fonction de l’intérêt des enfants.

Ce n’est que dans ce cadre aussi que la collectivité pourra se donner les moyens de se protéger contre d’autres menaces, telles le terrorisme et le vandalisme, qui s’insinuent dans toute nation faible, dont les services publics sont fragilisés par l’ultralibéralisme et qui ne sait pas prévoir ce qui peut la menacer, ni se donner les moyens de se défendre.

Être positif, ce n’est pas être naïf ; c’est défendre, par tous les moyens de la démocratie, le cadre de vie, et la liberté, de ses enfants.

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