Pendant que des dirigeants de plus en plus populistes se partagent l’essentiel de la planète, et que, dans les lieux de plus en plus rares où ils ne sont pas au pouvoir, des citoyens se bercent de l’illusion qu’il leur serait possible de regagner la maîtrise de leur destin dans chaque petit canton de l’univers, quelques-uns des vrais maîtres du monde, (qui ne sont ni des politiques ni, contrairement aux thèses à la mode, des géants des nouvelles technologies, mais bien des financiers, comme depuis des millénaires) continuent d’orienter la planète à leur guise.

Beaucoup d’entre eux travaillent pour le bien ; en plaçant l’épargne qui leur a été confiée par ceux qui ne savent pas comment l’utiliser au mieux eux-mêmes, entre les mains de ceux qui ont des projets socialement et écologiquement positifs. En cela, la finance est utile au meilleur du monde.

D’autres, beaucoup moins scrupuleux et infiniment inutiles, voire nuisibles, utilisent cette épargne pour leur compte personnel, dans des opérations spéculatives, d’autant plus dangereuses qu’on n’aura pas su mettre en place des mécanismes de contrôle.

On a connu cela à de nombreuses reprises dans l’Histoire. Et quand ce genre de situation atteint son paroxysme, cela finit toujours par une crise, dont les victimes finales ne sont pas ceux qui les ont provoquées, mais les salariés pauvres, qui auront fait confiance à ces intermédiaires douteux, institutions financières follement cyniques. Cyniquement folles.

Et voilà que cela recommence : Qui croirait qu’on pourrait un jour recommencer les erreurs de 1929 et celles de 2007 ? C’est bien pourtant ce qui est en train d’arriver.

En 2007, des banquiers américains peu scrupuleux avaient convaincu des salariés pauvres et peu informés qu’il n’était pas nécessaire de demander des augmentations de salaires, puisqu’il suffisait d’emprunter beaucoup pour acheter une maison et de gagner ainsi de quoi rembourser le prêt, et plus encore, grâce à la plus-value, certaine disaient-ils, de cette maison. On connait la suite : ces prêts, dit subprimes, ont été regroupés, découpés, titrisés sous le nom de CDO et revendus à tout le système financier mondial, qui mit plusieurs années à comprendre que la plus-value immobilière ne viendrait pas et que tout cela ne ferait que la fortune des prêteurs et la ruine des emprunteurs.

Aujourd’hui, tout recommence à l’identique. Sinon que ce ne sont plus seulement les salariés pauvres qui s’endettent (cette fois-ci pour acheter une automobile ou financer les études de leurs enfants), mais aussi les entreprises non cotées américaines : celles-ci empruntent, pour couvrir leurs pertes et en espérant des rentabilités folles, un argent qu’elles ne pourraient rembourser que si leur valeur augmentait bien au-delà de ce qui est imaginable. Des banques et des institutions financières américaines leur consentent ces prêts, puis, sachant qu’ils sont fort risqués, s’en débarrassent en les découpant, les titrisant et les revendant à tout le système financier mondial, cette fois sous le nom de CLO (Collateralized Loan Obligations). Et comme il y a dix ans, les agences de notation bénissent ces prêts qu’elles prétendent sans risque, ce qu’ils ne sont pas.
Mêmes causes, mêmes effets ; une nouvelle crise nous attend : ces prêts ne seront pas remboursés, car la hausse attendue des Bourses ne sera pas au rendez-vous.

Quelques chiffres : La moitié de ces prêts sont accordés avec des multiples supérieurs à 5 et avec des taux d’intérêt variables, ce qui les rend particulièrement dangereux ; le montant total de ces prêts était déjà de 1.300 milliards en septembre 2018, (dernière statistique disponible), soit le double du montant des subprimes au moment du déclenchement de la crise précédente. Plus de la moitié de ces prêts sont déjà titrisés et revendus dans le monde entier. 61% de ces prêts sont de mauvaise qualité, contre seulement 55% en 2007. La protection des prêteurs est bien moindre qu’il y a dix ans. Enfin, si le secteur bancaire est mieux contrôlé qu’il y a dix ans, il n’en va pas de même du « secteur bancaire fantôme », où tout se passe aujourd’hui.

On ne pourra donc éviter la catastrophe que si les banques centrales, comme la fois précédente mais sans doute plus massivement encore, rachètent toutes ses dettes, qui viendront gonfler leurs bilans, préparant un effondrement total de la confiance dans le système financier planétaire.

Folie, cynisme, spéculation. Les vieilles recettes du pire sont là. Il serait aussi illusoire de croire qu’on pourrait s’en protéger en fermant les frontières que de penser qu’on pourrait échapper au réchauffement climatique en ne comptant que sur soi-même.

Pour régler ces problèmes, il faudrait que les entreprises, comme leurs actionnaires et leurs banquiers, acceptent de ne pas rechercher une rentabilité folle, et de se contenter de vivre au même rythme que les autres humains. On objectera que cette rentabilité est justifiée par l’ampleur des innovations qu’ils mettent en œuvre ; c’est faux : le profit n’est pas le moteur de l’innovation ; il en est la conséquence.

Etrange moment, où les citoyens les plus vulnérables demandent, à juste titre, qu’on traite de leurs problèmes les plus immédiats et de leurs soucis les plus locaux, alors que rien ne serait plus important, dans leur intérêt, que de s’occuper des enjeux du long terme et des risques planétaires.

Ceux qui sauront concilier ces défis seront des hommes d’Etat. Ils manquent cruellement aujourd’hui.