Nous y voici. Un deuxième confinement. Une deuxième catastrophe. Après un premier confinement totalement raté. Et un déconfinement bien plus raté encore.

Il ne servirait à rien de dire que tout cela aurait pu être évité. En particulier, il ne servirait à rien, en Europe, et en particulier en France, de souligner que :

· Les administrations de la santé auraient pu tirer des leçons du premier confinement pour développer à marche forcée le recrutement et la formation des personnels soignants, pour améliorer leurs rémunérations et leurs carrières, pour équiper les hôpitaux en respirateurs, en équipements digitaux, en blouses, et tant d’autres choses.

· Les administrations de l’éducation auraient pu fournir aux enseignants et aux familles les moyens numériques, et les méthodes pédagogiques associées, qui leur font encore tant défaut, alors que, évidemment, il faudra bientôt fermer les universités et les lycées pour enseigner de nouveau à distance.

· Les industriels de la santé auraient pu consacrer infiniment plus de moyens à la mise au point de tests et au développement de vaccins qui, pour l’instant, s’annoncent partout, sauf dans l’Union Européenne.

· Les banquiers auraient pu utiliser tout ce temps pour préparer les nouveaux instruments financiers qui auraient été nécessaires pour sauver les commerces et les petites entreprises.

· Les médias, (et ceux dont ils ont décidé qu’ils étaient des « experts ») auraient pu s’intéresser à la façon dont la démocratie sud-coréenne a géré cette pandémie depuis décembre dernier ; au lieu d’avoir été fascinés par les soi-disant exploits d’une dictature chinoise longtemps aux abois. Toutes proportions gardées, en imitant l’une plutôt que l’autre, on aurait eu en Europe, jusqu’à aujourd’hui, 50 fois moins de morts. Et aucune récession.

· Enfin, chacun de nous aurait pu, depuis le mois de mai au moins, réfléchir aux leçons à tirer du premier confinement pour décider de travailler autrement, de consommer autrement, de choisir enfin sa vie.

Mais non, trop de gens, trop de puissants surtout, ont préféré considérer cette pandémie comme une simple parenthèse, et attendre qu’elle se referme ; parce que le retour du même était dans leur intérêt. Et parce que, après tout, ce sont les pauvres qui sont et seront les principales victimes de la pandémie.

Seulement voilà, cette deuxième vague le crie un peu plus fort que la première : il ne fallait pas, et il faut encore moins aujourd’hui, attendre, ou espérer, ou favoriser le retour du même.

La deuxième vague sanitaire, prise trop tard, et sans préparation, va même peut-être conduire, dans certains pays, à devoir faire ce qu’on se vante encore de pouvoir éviter : choisir entre ceux qu’on devrait et ceux qu’on pourra soigner. Le pire choix qu’une démocratie pourrait avoir à faire.

Et la crise économique qui vient provoquera beaucoup plus de faillites et de licenciements que les puissants n’osent encore le reconnaître. Elle provoquera aussi, elle provoque déjà, le renfermement communautaire, la recherche de boucs émissaires, le mépris de la vérité.

Tout cela devrait nous pousser enfin à ouvrir les yeux, et à oser enfin décider une double mobilisation générale :

1. Une mobilisation générale de l’économie, pour la réorienter en urgence vers les secteurs stratégiques, ceux que je nomme depuis le mois de mars « l’économie de la vie ». A savoir la santé, l’éducation, la recherche, le numérique, l’hygiène, l’agriculture, l’alimentation, l’énergie propre, le logement, la distribution, la culture, l’hospitalité, le crédit, l’assurance, et la sécurité. En cessant de croire, et de faire croire, qu’il faut encore dépenser sans compter pour sauver les entreprises des autres secteurs, qui mourront quand même, sans qu’on ait donné à ceux qui y travaillent les moyens de se préparer à d’autres aventures

2. Une mobilisation générale de la société, autour de l’altruisme, pour mettre enfin chacun en situation de comprendre qu’il a intérêt au succès des autres, à favoriser le travail de groupes, à lutter de toutes les façons possibles contre la misère, matérielle et morale, et la solitude, que le confinement va encore aggraver.

Cela serait plus facile si on savait inscrire la tactique dans une stratégie, et la stratégie dans un projet de société.

Sans attendre un troisième confinement pour en décider. Parce que, là, il sera vraiment trop tard. Pas seulement pour vaincre la pandémie, ni même pour protéger l’économie. Mais pour sauver le vivre ensemble ; la démocratie.

j@attali.com