Les médias en continu alignent les informations les unes après les autres sans chercher, en général, à établir des relations entre elles. Et de fait, a priori, il n’y a aucune relation entre le développement spectaculaire de la blockchain, le conflit de souveraineté en Catalogne, l’affaire Weinstein, les élections en Autriche et en Tchéquie, la crise en Corée, la tentative d’indépendance kurde, la reconduction du président Xi Ji Ping, et tous les autres sujets ayant fait cette semaine les titres de tous les journaux du monde, du moins de ceux de ces médias qui ne sont pas totalement centrés sur leur enjeux nationaux ou qui ne sont pas trop contrôlés par une tatillonne censure.
Et pourtant, tous les médias, y compris les moins libres, obéissent à une même logique, et peuvent être compris selon une même grille de lecture, qui donne un sens au monde et mériterait au moins d’être testée, en permanence.
Toutes ces informations participent en effet d’une même tendance lourde, et de la réaction qu’elle entraine : d’une part, une autonomisation croissante des individus, et du respect qui leur est dû, conduisant à l’affaiblissement des Etats, dans une globalisation individualisante où chacun devient seul maitre de son destin.
D’autre part, et à l’inverse, dans une réaction aussi puissante que le mouvement qui la fonde, on assiste à une crispation identitaire : le populisme autoritaire se dresse partout pour s’opposer à l’uniformisation anarchique : la dictature de marché n’est que l’autre face de l’individualisme libertaire.
Parmi beaucoup d’autres, deux sujets ayant fait les titres cette semaine, et apparemment sans relation, en sont l’illustration :
La blockchain, technologie de sécurisation des transactions est si puissante qu’elle permet de construire des monnaies sans banque centrale, dont le bitcoin, qui a battu cette semaine tous les records de prix ; elle participe plus que tout autre à la destruction de la puissance étatique et de sa fonction protectrice des plus faibles ; elle dessine un monde de liberté et d’autonomie, où chacun mérite autant qu’un autre respect et considération. Un monde de solitude aussi, et de rupture de toutes les solidarités, y compris celles, élémentaires, qu’organise une monnaie partagée sur un territoire. Avec le bitcoin et les autres avatars de la blockchain, le nomadisme, dans ses formes les plus extrêmes, semble ainsi triompher.
En réaction à cette évolution, les territoires se défendent : pas question pour eux de perdre le contrôle de leur destin. Au contraire meme, c’est le moment, de le reprendre, de le prendre ; c’est ce qui se joue en Catalogne, et au Kurdistan ; c’est ce qui s’annonce en Autriche, en Tchéquie, et aussi en Italie, avec les référendums qui s’y préparent. En particulier, le combat catalan s’inscrit dans ce mouvement, qui s’accompagnera presque inévitablement d’une crispation autoritaire. Les technologies pourront être mises au service de telles évolutions : Ainsi, le prochain projet chinois de mettre en place une centrale de risques, pour éviter le surendettement des consommateurs, pourra servir à bien d’autres choses qu’à surveiller le comportement des emprunteurs, et renforcer plus encore les pouvoirs du président Xi Ji Ping.
Si les précédents historiques peuvent servir à discerner l’avenir, nous allons à grande vitesse vers une confrontation brutale entre la liberté des individus, plus ou moins matinée d’anarchie, et des dictatures de marché, plus ou moins teintées de nationalisme. Dans un premier temps, les dictatures l’emporteront ; puis elles s’affronteront ; avant qu’on n’en revienne à la sagesse d’une gouvernance mondiale, réconciliant les droits des peuples et ceux des individus. Nous avons encore les moyens d’éviter ce choc et de penser une gouvernance harmonieuse, libératrice, associant en bonne intelligence le meilleur des deux mondes.