Avant de se lancer imprudemment dans bien des réformes, l’Etat devrait faire fonctionner ses services de base : la santé, la police et l’éducation. Il en est très loin.

La pandémie nous rappelle les énormes lacunes de notre système de santé ; et la gestion plus que problématique des enjeux de sécurité nous rappelle les insuffisances de notre système policier. Et dans ces deux cas, il s’agit, et pas seulement de moyens financiers, mais surtout de compétences, de méthodes, de matériels, de motivation, de respect.

En matière d’éducation, c’est plus flagrant encore, parce que, là, on dispose de comparaisons internationales, qui en apportent des preuves objectives. Des preuves consternantes.

Selon la plus récente étude PISA de l’OCDE qui “teste l’aptitude des élèves à appliquer les connaissances acquises à l’école aux situations de la vie réelle”, la France est classée au 23ème rang sur les 79 pays participants en compréhension de l’écrit, mathématiques, et sciences. L’Allemagne est 19ème, les USA 12ème, la Suède 10ème, la Corée 8ème. Singapour est en tête ; la France est aussi un des pays qui réussit le moins à réduire l’impact du milieu socio-économique sur les résultats scolaires : « le niveau à l’écrit des 10% d’élèves des familles les plus riches équivaut à une avance de quatre années scolaires environ par rapport aux 10 % d’élèves les plus pauvres« .

Cela devrait suffire à sonner le tocsin. Mais il y a pire : selon une étude dite TIMSS, effectuée par une organisme scientifique américaine reconnue, l’International Association for the Evaluation of Educational Achievement, et qui vient d’être rendu publique, les élèves Français de CM1 étaient, en 2019, en avant-dernière position mondiale en mathématiques et en sciences, (ne devançant que le Chili) ! Et cela n’est suivi d’aucun rattrapage entre le CM1 et la 4e où la France se classe là encore parmi les derniers. De plus, seulement 2% des élèves Français ont un « niveau avancé » (contre 11% en moyenne dans l’OCDE et plus de 50% à Singapour, à Taiwan et en Corée du Sud).

Les jeunes Français ont désormais un très mauvais niveau en science. C’est un épouvantable désastre. Cela devrait faire les grands titres. Il semble que le déclin a commencé il y a 25 ans. On aurait dû s’en rendre compte. Lancer immédiatement un grand débat national. Agir massivement.

Mais non. Il n’en a rien été. Comme si tout le monde, du gouvernement aux parents, en passant par les syndicats enseignants, avaient intérêt à cacher le problème, à le glisser lentement sous le tapis. Pour ne fâcher personne.

Nous vivons la conspiration du silence de la médiocrité. Et il n’y a pas de pire poison que la médiocrité.

Si on ne fait rien, si on ne déclenche pas au plus vite une mobilisation générale. C’est un tsunami qui nous menace : celui du déclin qui viendra inévitablement quand il sera impossible de former des techniciens, des chercheurs, des ingénieurs, des médecins avec cette génération. Et quand les familles les plus aisées auront compris que l’enseignement qu’on donne à leurs enfants en France est un désastre, qu’aucune école privée ne suffit à le compenser, et émigreront pour ne pas le subir.

Veut-on cela ? Non évidemment. Seulement voilà, pour le changer, il ne suffira pas d’augmenter notre dépense d’éducation, qui est dans la moyenne de l’OCDE, et même très supérieure à celle de pays bien mieux classés que nous. Il nous faudra bien plus, des choses plus subtiles et plus difficiles à obtenir : des professeurs mieux formés, capables de transmettre une passion des sciences, des mathématiques, de la physique, et de toutes les autres sciences ; des professeurs en situation d’être plus exigeants avec les élèves, sans risquer d’être agressés par des parents ; des élevés motivés pour les études austères, continues, qu’exigent les mathématiques ; des élèves à qui on aura su faire ressentir la joie extrême de résoudre un problème difficile, de trouver la démonstration la plus simple possible d’un théorème complexe, d’entrer dans le monde fascinant des nombres imaginaires, de naviguer dans une géométrie à trois puis quatre, puis n dimensions, et bien plus ; pour, plus tard, s’émerveiller devant la capacité de ces outils à décrire la nature, à lui donner un sens, même provisoire, et à faire faire à l’humanité ses plus merveilleux progrès, humbles ou immenses.

Je ne vois pas venir le commencement du début d’un tel programme ; même pas le commencement d’un débat sur sa nécessité. Il est vrai qu’on est occupé à des débats beaucoup plus sérieux, comme par exemple : comment passer de 23 à 25 sans passer par 24…

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