Comme prévu, l’humanité est et sera de plus en plus nomade. Plus de 200 millions de gens vivent déjà sur un autre continent que celui où ils sont nés. Et, quels que soient les barrières et les murs dressés, ils seront plus de 500 millions dans ce cas en 2050.

Alors, que faire? La tentation naturelle est et sera de refuser ces « envahisseurs », ces « intrus » ; de pourchasser, d’arrêter, d’expulser ceux qui se glissent illégalement dans les trop rares lieux d’abondance et de paix du monde. Qui peut en vouloir à ceux qui fuient la violence? Qui peut en vouloir à ceux qui prennent peur pour leur tranquillité? Mais fermer les frontières devant les gens entraînera inévitablement leur fermeture, un jour, devant les marchandises, les capitaux et les idées. La dictature et la confrontation en découleront, comme ce fut si souvent le cas dans le passé. De même, ouvrir à tout vent conduirait à des désastres innombrables. Donc, que faire?

La politique vise justement à trouver un compromis entre ces deux extrêmes tout aussi inacceptables. En Europe, une politique de fermeture ou d’ouverture ne peut être nationale, car il suffit d’une anicroche, dans une maille du filet, pour qu’il soit inopérant. Et l’expérience a montré que les barrières sont rarement efficaces et ne font que détourner les trafics. C’est pourquoi l’Union européenne doit inventer de nouveaux instruments. Une fois de plus, une crise va pousser les pays membres, non à s’isoler mais à s’intégrer davantage, à aller vers une gestion commune des frontières de l’UE.

C’est déjà, en théorie, le rôle de Frontex, qu’il faut massivement renforcer, tant sur le terrain du contrôle que sur celui de l’accueil des réfugiés et de leur répartition. Cela ne suffira pas: ceux qui sont admis, réfugiés ou migrants, démunis de tout, ne peuvent apporter quoi que ce soit aux pays qui les reçoivent. Et rien ne serait pire que de les laisser à l’abandon, sans leur apprendre une langue de l’Union ni les aider à se former à un métier, à trouver un emploi et un logement, à mettre leurs enfants à l’école. Et cela doit être fait de façon harmonisée, afin d’éviter les détournements de procédures et de moyens.

Aussi, à côté de Frontex, il faut créer Integrex, nouvelle institution européenne dont la mission sera de rapprocher les politiques d’intégration des différents pays de l’Union. Integrex n’aura pas la charge d’une générosité désintéressée, mais de servir l’intérêt bien compris de ceux qui reçoivent et n’ont pas intérêt à laisser leurs hôtes en déshérence, mais ont tout à gagner à leur enseigner nos règles de vie en commun.

Ce serait même l’occasion de créer, pour ces nouveaux venus, un permis de séjour d’un genre nouveau, proprement européen et non plus national, débouchant à terme sur l’octroi, pour ceux qui l’auront voulu et mérité, d’une nationalité européenne et non celle d’un pays membre. Elle serait attachée au respect de valeurs fondamentales, d’essence européenne, tels les droits de l’Homme, ceux de la Femme, la licite, la démocratie. Ces gens, qui risquent leurs vies pour nous rejoindre et apporter leurs forces au rêve européen, non à un pays de l’Union en particulier, auraient toutes les raisons de vouloir, et de mériter, devenir les premiers titulaires d’une citoyenneté européenne, qui serait ouverte aussi à chacun des citoyens des États membres.

Rien ne serait plus bénéfique à notre vieille Europe, si elle veut bien comprendre que l’intégration des nouveaux venus dans l’espace (les migrants) est aussi importante que celle des nouveaux venus dans le temps (les futures générations). Les uns et les autres sont la condition de notre survie.