Tous les pays membres de la zone euro ont maintenant adopté une même stratégie économique, celle de la recherche d’une amélioration de leur compétitivité par une politique de l’offre. Cette stratégie est la seule qui puisse remplacer, dans le cadre d’une monnaie unique, les dévaluations compétitives ; elle vise à la baisse des prix et des salaires, pour améliorer la réponse à la demande extérieure, et restaurer ainsi, espère-t-on, le pouvoir d’achat, la croissance et l’emploi.

La France, la dernière, après l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, et tous les autres, vient d’adopter explicitement cette stratégie. Elle a eu raison ; ne pas le faire eut été suicidaire : notre industrie était en train de perdre toute capacité de concurrencer les autres pays européens, même ceux dont la capacité exportatrice était jusqu’alors loin derrière la sienne.

Pour l’instant, cette stratégie ne fonctionne pas ; dans aucun pays de la zone euro ; dans aucune dimension de la crise : le chômage ne se réduit nulle part ; la croissance ne revient pas ; le déficit reste élevé ; le ratio dette publique/PIB augmente inéluctablement. Plus grave encore, les banques commerciales ne sortent pas de l’ornière ; les investissements publics et privés se ralentissent ; les investisseurs étrangers s’éloignent. Et si certains pays de la zone gagnent des marchés à l’extérieur, c’est pour l’essentiel au détriment d’un autre pays membre, comme le fait en ce moment l’Espagne face à la France ; et l’Allemagne face à tous les autres.

Tout cela mènera à la catastrophe : on constatera, très vite, que la rigueur ne résout aucun des problèmes concrets que rencontrent les citoyens. Les sirènes antieuropéennes répéteront alors qu’elles l’avaient bien dit, que l’austérité ne conduira qu’au pire. On verra resurgir les partis prônant le retour à la dette, au déficit, à la fuite en avant, et même, à la sortie de l’euro pour adopter une politique explicite de soutien à la demande et de dévaluation compétitive. On voit déjà les partis prônant cette ligne politique s’annoncer au plus haut dans les sondages, de différentes façons, en Grèce, en France, en Italie. Les politiques qu’ils proposent, si par malheur elles venaient à etre appliquées, feront illusion un moment : hausse des salaires, hausse de déficit publics, arrêt des licenciements. Mais, très vite, elles conduiront à plus de dette publique et de soumission aux préteurs, qui imposeront un retour à la rigueur, dans des conditions bien pires. Il sera trop tard. Le dommage sera irréversible.

Pour l’éviter, une seule stratégie : compléter la nécessaire politique de rigueur de chacune des nations surendettées par une politique de relance d’une zone euro n’ayant elle, aucune dette.
On oublie trop en effet que l’eurozone, en tant qu’entité juridique, n’a aucune dette. Et qu’elle a donc une capacité d’emprunt d’au moins 1000 milliards d’euros pour financer, par des bons européens, des investissements productifs, privés et publics, que ni les Etats surendettés, ni les banques européennes, faute de capitaux propres, ne sauraient pour leur part financer. Et si, de plus, la zone euro se donne une stratégie cohérente , et concertée sur les marchés, conduisant à une baisse relative de l’euro face au dollar, le retour de la croissance en Europe est assuré.
Pour y parvenir, il faut définir et mettre en œuvre une stratégie cohérente entre les seuls quatre acteurs crédibles de l’Europe d’aujourd’hui : la France, l’Allemagne, la Banque Européenne d’Investissement et la Banque Centrale Européenne. S’ils arrivent à se mettre d’accord, la croissance reviendra très vite en Europe ; s’ils ne le font pas, son déclin est assuré.

Il est donc urgent, pour la BCE, de comprendre que son avenir même, et celui de la monnaie dont elle a la charge, passe par une stratégie, bien plus audacieuse que ces timidités actuelles, affirmant que la baisse de l’euro face au dollar serait une bonne chose, qu’une inflation inférieure à 4% est bienvenue, que l’émission d’euro bonds compléterait utilement les instruments dont elle dispose.
Pour la BEI, il est temps de réaliser qu’il n’est plus temps pour elle de défendre sa notation triple A, en refusant d’investir dans les pays qui l’ont perdu, mais au contraire de le risquer, en finançant en masse des projets dans ces pays.

Pour l’Allemagne, le moment est venu d’admettre que, si le scénario du pire se réalise, l’euro redevenu mark montera si haut que plus aucun secteur de l’industrie allemande ne sera compétitif.
Et enfin pour la France, le moment est venu de reconnaitre qu’il lui appartient d’oser proposer une telle stratégie, que l’Allemagne, et les deux Banques européennes, ne pourront qu’accepter.
Une telle décision doit être prise au plus vite. Très vite. En Mars au plus tard. Et c’est donc en Février que la France doit le proposer. Si elle ne réussit pas en convaincre ses partenaires, elle devra, la mort dans l’âme, renoncer à la recherche d’équilibres, qu’elle vient pourtant d’engager courageusement, au nom d’une solidarité qui aura cessé d’exister.